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la végétalisation des villes et la tragi-comédie des communs
vacarme 81
Article mis en ligne le 12 octobre 2017
dernière modification le 10 octobre 2017

À Paris et ailleurs, les grilles de métal au pied des grands platanes disparaissent pour laisser place aux fleurs, fruits, légumes et herbes folles. Ces initiatives, contrôlées et encadrées par la puissance publique, semblent constituer une forme de réappropriation de l’espace urbain par ses habitants les plus proches. Mais elles posent aussi des questions relatives à la gestion des communs et à l’idée d’une gouvernance collective de l’espace, de son appropriation, de sa gestion par des acteurs aux stratégies souvent éclatées et parfois contradictoires.

Parmi les différents aspects de la politique de Paris, le permis de végétaliser est sans doute celui qui a le plus attiré l’attention, avec plusieurs milliers d’autorisations accordées à des habitants depuis sa création en 2015. De nombreuses autres villes françaises — comme Lille, Marseille, Strasbourg, Grenoble ou Bordeaux — ont mis en place des dispositifs similaires (même si les règles peuvent varier d’une ville à l’autre).

On croise de plus en plus souvent à Paris des espaces végétalisés dans le cadre de ce dispositif et il paraît légitime de se demander dans quelle mesure il peut ou non favoriser l’émergence de Communs urbains. On pourrait penser que le permis de végétaliser va naturellement dans le sens des Communs, dans la mesure où il permet aux habitants de se réapproprier l’espace public. Mais il semblerait que les choses soient plus complexes. Tant du point de vue du montage juridique que de ses résultats pratiques, le permis de végétaliser n’aboutit pas toujours à la constitution de Communs dans la ville. Il peut même déboucher sur leur exact contraire, à savoir une forme de Tragédie des Communs, bien que ce ne soit heureusement pas une fatalité. Cette question de la végétalisation illustre parfaitement comment certaines choses peuvent à première vue passer pour des Communs sans en être et finir même par les menacer.

les ambiguïtés juridiques du permis de végétaliser (...)

Le permis de végétaliser est un « permis de privatiser », mais avec une portée limitée. (...)

Les personnes sollicitant le permis peuvent demander un soutien matériel à la municipalité (un kit gratuit de végétalisation, comportant des outils et des graines, est disponible à Paris,). Cela peut aller jusqu’à la réalisation de travaux spéciaux d’aménagements, comme la préparation d’une fosse de plantation, le remplissage de terre, la pose d’un bac ou d’une bordure de protection. Mais les bénéficiaires du permis doivent en retour s’engager à respecter un certain nombre de conditions fixées à Paris par une Charte de végétalisation. La personne à qui est délivré le permis « s’engage à installer [elle]-même le dispositif (par exemple : une jardinière ou une bordure de pied d’arbre), à utiliser des plantes locales et mellifères favorisant la biodiversité de Paris, à ne pas recourir à des pesticides et à veiller à l’esthétique et à l’entretien des plantes et supports (arrosage, nettoyage, etc.) ». Ne pas respecter ces conditions expose à la suppression de l’autorisation, qui reste valable sur une période variable selon les villes (un à trois ans, avec tacite reconduction). On est donc assez proche au final d’une forme de « micro-délégation » de service public à la personne qui obtient le permis de végétalisation. Le citoyen obtient la responsabilité de la gestion d’un espace auparavant entretenu par les services des espaces verts de la ville, mais il doit accepter les contraintes inhérentes à ce type d’activités.

Pour autant, est-ce que ces permis aboutissent à la création de Communs dans l’espace urbain, au sens propre du terme ? Ce n’est pas certain. On passe en effet d’une situation où les espaces étaient gérés par la puissance publique à une autre, où se sont des personnes privées qui vont récupérer le droit de les utiliser. D’une certaine manière, le permis de végétaliser est un « permis de privatiser », bien que sa portée reste limitée. En effet, le récipiendaire obtient une exclusivité pour contrôler l’espace faisant l’objet du permis (notamment pour décider de ce qui y sera planté et des aménagements à réaliser), mais la parcelle doit rester affectée à l’usage de tous, car elle continue à faire partie du domaine public. C’est ce qui fait qu’on ne peut pas par exemple utiliser le permis de végétaliser pour se constituer un petit potager personnel autour d’un pied d’arbre dans la rue. Les fruits ou les légumes qui y poussent pourront être cueillis par tous et la personne titulaire d’un permis de végétaliser ne peut pas s’en réclamer « propriétaire ». De ce point de vue, ces espaces deviennent bien des Communs, ou pour être exact des res nullius (choses sans maître), permettant la réactualisation en ville des pratiques ancestrales de glanage et de grappillage qui existaient jadis dans les campagnes, au temps où les Communs jouaient un rôle essentiel pour la subsistance des populations.

Malgré ce point de contact, le permis de végétaliser donne l’impression d’osciller entre le public et le privé, sans qu’on parvienne à mettre le doigt sur ce qui fait la spécificité du Commun. (...)

Le contraste est fort avec les jardins partagés, par exemple, où des modes de gestion concertés doivent nécessairement être mis en place par les groupes qui en partagent l’usage et qui sont donc beaucoup plus facilement rattachables à l’esprit des Communs. (...)

Mais le permis de végétaliser est susceptible de se dégager de cette logique « individualiste » pour prendre une dimension collective, car son attribution peut aussi bien aller à des personnes physiques que morales, constituées par exemple en associations. Dans certains quartiers, au lieu de se limiter à une juxtaposition de parcelles individuelles sans cohérence d’ensemble, la végétalisation s’effectue de manière concertée dans le cadre de projets portés par des associations visant à impliquer les habitants dans les choix pour leur voisinage. On notera d’ailleurs qu’à Strasbourg, les permis de végétalisation ne pouvaient pas à l’origine être demandés par des individus : ce sont uniquement des associations qui pouvaient les solliciter et on peut se demander s’il ne vaudrait pas mieux qu’il en soit systématiquement ainsi pour affirmer la dimension collective de la démarche, sans laquelle aucun Commun ne peut exister.

À ce titre, il est intéressant de remarquer qu’en septembre 2016, le Conseil de Paris a adopté, sur proposition des élus du Groupe écologiste, qui cherchait justement à réinjecter du collectif au sein de la démarche, un vœu à propos du dispositif « Permis de végétalisation » :

« Le Conseil de Paris émet le vœu : […] Qu’une mission « jardinage » dotée de moyens adaptés vienne compléter dans chaque arrondissement la mise en place d’un comité de végétalisation pour accompagner les projets des habitant·e·s et faciliter leurs démarches, que la ville de Paris lance un appel à projet pour trouver des associations qui accompagnent les porteurs de projet, dynamisent et fassent connaître le dispositif, aident à faire le lien avec les autres jardiniers citoyens du quartier. » (...)

comédie ou tragédie des communs urbains ?

Lorsque l’on se rend sur le compte Instagram « Végétalisons Paris » mis en place par la mairie, on peut voir de nombreuses photos d’installations végétales pimpantes réalisées par les habitants de la ville et il est vrai que l’on en croise parfois de magnifiques dans les rues. Mais ce n’est pas, hélas, le sentiment général que j’ai pu avoir en passant à côté d’espaces végétalisés. Sur son compte Twitter, Didier Rikner [@ltdla] [3] épingle souvent des espaces laissés à l’abandon, dégradés par les passants ou conçus d’emblée par leurs gestionnaires sur des bases esthétiques… pour le moins discutables !

Passer devant une parcelle de plantation saccagée constitue un excellent moyen de comprendre ce que l’on appelle la « Tragédie des Communs ».Théorisée par l’économiste Garret Hardin dans un célèbre article éponyme paru dans la revue Science en 1968, la notion de « Tragédie des Communs » désigne une situation où une ressource laissée en libre accès est surexploitée par ses utilisateurs au point de finir par disparaître. (...)

Cela ne signifie pas que toute tentative de création de Communs dans les rues soit voué à l’échec, mais le processus de reconquêtete de l’espace urbain nécessite la recomposition d’un tissu collectif qui est fragilisé dans la plupart de nos cités. Que ce soit avec les petites bibliothèques de rue ou les espaces végétalisés, on est confrontés à une forme de paradoxe de la poule et de l’œuf : il n’y a certes pas de Communs sans communautés, mais la construction de Communs n’est-elle pas aussi un moyen de faire renaître les communautés là où elles avaient disparu ? (...)