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Mediapart
La pride de Budapest, une gifle monumentale administrée à Viktor Orbán
#Hongrie #Orban #extremedroite #democratie #Pride
Article mis en ligne le 29 juin 2025

Viktor Orbán a interdit la marche des fiertés de Budapest. Samedi après-midi, plusieurs centaines de milliers de personnes, Hongrois et Européens, l’ont défié et ont marché dans la capitale. « Un moment historique » que racontent les manifestants.

Budapest (Hongrie).– Une marche pour soutenir les LGBTQI+ hongrois·es brimé·es et traîné·es dans la boue par leur gouvernement, un front européen pour la défense des droits fondamentaux que sont les libertés de réunion et de manifestation, et un sursaut des gauches européennes sur les terres de Viktor Orbán. C’est tout cela que représentait la marche des fiertés de Budapest, interdite par le gouvernement et la police au prétexte de « protection de l’enfance ».

Ses organisateurs attendaient prudemment quelques dizaines de milliers de personnes pour venir braver l’interdiction. Ce sont finalement plusieurs centaines de milliers de personnes qui ont déferlé samedi 28 juin dans la ville, depuis la mairie centrale jusqu’au bord du Danube. (...)

« Je n’ai pas vu ça depuis si longtemps, au moins depuis 2010. On doit être au moins 200 000, c’est un moment historique ! », s’exclame le député de gauche András Jámbor, visiblement ému en embrassant du regard la foule qui traverse le pont Elizabeth sur le Danube. « Enfin on montre un autre visage de la Hongrie. » Il porte au cou l’écharpe de l’équipe nationale de foot que lui avait donné Milán Rozsa, figure de proue du mouvement LGBT hongrois, jusqu’à se donner la mort.

« Désolé, mais vous ne ressemblez pas à des gens qui sont bannis », a lancé à la foule le maire écologiste de gauche de Budapest, Gergely Karácsony, acclamé toute la journée. Au terme d’un bras de fer de plusieurs semaines entre les organisateurs et le gouvernement, et après trois interdictions successives par la police, il a réussi le tour de passe-passe d’abriter l’évènement sous le parapluie municipal. (...)

Au ministre de la justice qui l’a menacé d’un an d’emprisonnement, il a joué de son flegme habituel : « Ma famille me manquerait sûrement, mais qu’est-ce que ma cote de politicien monterait. » Le même ministre qui avait sérieusement proposé que la pride se déroule loin des regards, à l’hippodrome de Budapest.

La loi de 2021 qui bannit la « propagande homosexuelle » auprès des mineurs, inspirée de la Russie de Poutine, a été prolongée au printemps par une loi interdisant les rassemblements pro-LGBT et par un amendement à la Constitution faisant primer la « protection de l’enfance » sur les droits de réunion et de manifestation. C’est sans précédent dans l’Union européenne.

Les caméras de surveillance installées tout le long du parcours pour identifier les participants au moyen d’un système de reconnaissance faciale et leur envoyer des amendes a posteriori, n’ont pas dissuadé Lili, une enseignante quadragénaire, de monter à la capitale pour sa première pride. (...)

Comme beaucoup, Rénata, 47 ans, est aussi venue pour la première fois, se sentant un devoir de solidarité envers « toute une partie de la population que l’on blesse ». Tout comme Ádám, 34 ans, qui précise : « Cela va bien au-delà des droits des LGBT+. Il s’agit de se lever contre l’oppression, contre un pouvoir qui fera tout ce qu’il peut pour truquer les prochaines élections et garder le pouvoir. »

Dans la foule, une pancarte proclame : « Ne craignez rien les homos, les hétéros sont là ! », en référence au cri de guerre lancé par Béla Puczi, à la tête de villageois roms venus prêter main-forte dans les émeutes sanglantes opposant Hongrois et Roumains à Targu Mures en Roumanie en 1990 : « Ne craignez rien les Hongrois, les Tsiganes sont là ! »
Une pride européenne

Les Hongrois ont également reçu le renfort des forces de gauche européenne qui ont voulu faire de cette journée à Budapest, plateforme européenne de l’internationale d’extrême droite, un moment de bascule. Soixante-dix députés européens ont marché avec les Budapestois.

Parmi eux, l’eurodéputée socialiste Chloé Ridel : « Aujourd’hui on donne à voir la réunion de toutes les forces de gauche européennes, et pas n’importe où, dans le pays de Viktor Orbán, qui a réussi depuis quinze ans à réunir autour de lui et de son idéologie l’extrême droite européenne. »

Et d’ajouter : « On est là pour lui montrer qu’on n’acceptera plus qu’il sape le projet européen de l’intérieur, qu’il se moque de nous, qu’il ose revenir sur des valeurs fondamentales acquises depuis le XIXe siècle, la liberté de réunion et de manifestation. Et le pire, en y ajoutant l’injure, au nom de la protection de l’enfance ».

Lors d’un rassemblement à huis clos, les Verts européens ont ovationné le maire de Budapest lorsqu’il a lancé qu’« Orbán veut faire sortir la Hongrie de l’Europe, mais il n’y arrivera pas, parce que Budapest est aujourd’hui la capitale de l’Europe ! ». « Ce maire est une putain [sic] d’icône de la liberté », a réagi la coprésidente de leur groupe européen, galvanisée.
Une Commission européenne très timide

Jean-Luc Roméro, adjoint à la maire de Paris, a été missionné par Anne Hidalgo pour représenter la ville lors de la manifestation. (...)

le Parti Populaire européen a préféré ne pas se montrer. Peut-être pour ne pas mettre en porte-à-faux Péter Magyar et son parti Tisza, grand rival d’Orbán. Ce conservateur a préféré se tenir à l’écart du rassemblement, tout en le soutenant tacitement et en se réjouissant de sa réussite : « Orbán a marqué un énorme but contre son camp. C’est le début de la fin pour lui. »

De même que la solidarité européenne reste entravée par une Commission européenne très timide. Sa présidente Ursula von der Leyen a attendu l’avant-veille de la manifestation pour la soutenir d’un simple tweet. Et sa Commissaire à l’égalité, la Belge Hadja Lahbib, est venue soutenir les organisateurs, mais n’a pas participé à la marche interdite.

Dans la Hongrie de Viktor Orbán, les rassemblements néonazis sont tolérés et l’on traque les contre-manifestants antifas ; les manifestations pro-LGBTQI+ sont interdites mais pas les contre-manifestations d’extrême droite. Le parti Notre patrie (Mi Hazánk), un rejeton de l’ancien Jobbik, et ses groupuscules auxiliaires d’ultradroite, comme l’Armée des brigands, n’ont eu aucun mal à obtenir l’accord des autorités pour couper la route de la marche. Ils ont invité les « hétérosexuels blancs et chrétiens » à venir gonfler leurs rangs… pour se retrouver finalement à quelques dizaines face à la marée humaine.

Samedi, l’« orbanisme » a montré ses limites criantes : il n’a pas remporté son « kulturkampf » (combat pour la civilisation) contre le libéralisme politique. Reste la bataille des urnes, l’an prochain.