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Mediapart
La coupure brutale du pass Culture collectif provoque la panique à l’école
#educationNationale #passculturel #budget
Article mis en ligne le 3 février 2025
dernière modification le 1er février 2025

Le gouvernement vient de décider, sans le dire officiellement, de geler les financements alloués à la part collective du pass Culture, qui permet de financer une large part de l’action culturelle dans le scolaire. Chefs d’établissement, enseignants et partenaires ne décolèrent pas.

On a cru au compte à rebours d’un mauvais film d’action. Aux dernières heures de janvier, c’est fini, les caisses de la part collective du pass Culture, réservées aux établissements scolaires afin de financer spectacles, expositions, ateliers, sorties, se sont retrouvées vides. Vendredi, à 16 heures, toute réservation était même bloquée.

Affolement général dans le monde de la culture et de l’éducation. Les professeur·es et les chef·fes d’établissements se sont pourtant pressé·es depuis jeudi pour valider des projets, et les partenaires culturels pour proposer les leurs. Tout cela dans l’espoir de grappiller les euros restants avant que le robinet ne soit coupé jusqu’en juin, dans le cadre d’un dispositif qui était censé durer toute une année scolaire. Les connexions à la plateforme en ligne ont frôlé le million, un tel point de surchauffe que le site a fini par planter jeudi 30 janvier.

L’information bruissait depuis une semaine dans le secret de la haute administration, elle a finalement été dévoilée mercredi par visioconférence à toutes les délégations académiques à l’action culturelle de France. Sous la pression de Bercy, le ministère de l’éducation sabre en catastrophe dans le budget : au lieu des 97 millions d’euros prévus, le budget du pass Culture scolaire passe à 72 millions, et il faut encore garder sur cette somme 22 millions afin d’assurer les mois de septembre à décembre 2025. (...)

si on regarde la courbe des dépenses des années précédentes entre septembre et juin, un manque à gagner bien réel pour la culture à l’école. (...)

« Tout le monde est conscient du tsunami de mécontentement que cela va occasionner », indiquait un acteur académique du sud de la France. « Est-ce qu’on prévoit une répartition entre académies, ou est-ce que c’est “premier arrivé, premier servi” ? », s’interroge un autre, quand un troisième, dans l’Ouest, demandait benoîtement à ses collègues : « Donc c’est déjà trop tard pour faire quoi que ce soit ? »
Acteurs culturels en panique

À l’autre bout de la chaîne, les chef·fes d’établissement n’en reviennent pas non plus. La plupart ont appris la nouvelle par les enseignantes et les enseignants, eux-mêmes avertis par les acteurs culturels avec lesquels ils ont l’habitude de travailler. « C’est une nouvelle crise, on piétine notre travail, déclare Bruno Bobkiewicz à l’occasion d’une conférence de presse de son syndicat, le SNPDEN-Unsa. Nous étions jour et nuit ensemble ces derniers jours pour un conseil social et économique ministériel, et personne n’a jugé utile de nous prévenir de cette affaire ? »

La méthode a surtout un air de déjà-vu : l’an passé, en avril, les principaux, principales et proviseur·es avaient découvert aussi du jour au lendemain que toutes les heures permettant de financer des projets pédagogiques ou d’assurer des remplacements étaient gelées, sine die. Une protestation nourrie avait alors permis d’inverser la vapeur. (...)

Du côté des partenaires culturels, théâtres, compagnies ou institutions de promotion du cinéma, l’information a d’abord circulé sous le manteau, alimentant la machine à panique. (...)

Concrètement, pour ce théâtre, c’est potentiellement trois spectacles sans public d’ici juin, et vingt-quatre heures d’atelier avec des artistes qui passent à la trappe, sans même parler des pertes de billetterie.

Absence de pilotage

« C’est la foire d’empoigne depuis quarante-huit heures, confirme la secrétaire générale du théâtre, Lucie Cabiac. Dans la commune, l’émancipation par la culture est un point central de notre politique. Et eux, au ministère, ils n’ont même pas eu la décence de mettre en place un pilotage, par exemple sur les zones d’éducation prioritaire, pour amortir le choc ? La plupart de nos jeunes à Ivry ne vont pas à la Comédie-Française avec leurs parents, s’ils n’y vont pas avec l’école, ils n’iront pas au théâtre du tout ! »

L’absence de réel pilotage du pass Culture, dévoilée de manière criante par cette dernière volte-face budgétaire, est un élément de critique récurrent. Lancé en 2021 par Emmanuel Macron sur la base d’un modèle italien, vendu comme son grand outil de politique culturelle, le pass Culture est géré par une société privée, montée à la stricte fin de distribuer de l’argent public. « Une aberration idéologique, basée sur la seule foi que le privé ferait mieux que l’administration », confie une source qui a bien suivi les différentes étapes du dossier. (...)

La Cour des comptes a déjà pointé en décembre dernier la faiblesse de la part individuelle du dispositif, qui n’a pas fait varier sensiblement les pratiques des jeunes bénéficiaires depuis sa mise en œuvre. L’outil est par ailleurs peu ou pas contrôlé, et contribue à l’enrichissement des mastodontes du monde culturel.

La ministre de la culture Rachida Dati a déclaré à ce sujet, devant les sénateurs et sénatrices, vendredi 31 janvier, qu’elle allait procéder à quelques ajustements, tout en annonçant l’entrée du parc à thème vendéen du Puy du Fou dans les offres disponibles, au grand dam des bancs de la gauche. (...)

D’autant que les établissements scolaires, notoirement à sec, ne pourront pas compenser par leurs fonds propres pour finir l’année, et que les collectivités locales ont ici ou là déjà coupé drastiquement dans leurs dépenses culturelles. « C’est un gros coup sur la tête du monde de la culture, ça c’est sûr », reprend cette source. Et la poursuite d’une politique éducative – comme l’ont montré les tergiversations sur les 4 000 postes enseignants – au financement chaque jour plus erratique.