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Mediapart
La circulaire Retailleau vient briser les espoirs de régularisation des sans-papiers
#sanspapiers #migrants #immigration #Retailleau #travail
Article mis en ligne le 15 avril 2025
dernière modification le 13 avril 2025

Adressées aux préfets le 23 janvier, de nouvelles consignes imposent des critères très contraignants aux personnes qui espèrent obtenir un droit au séjour en France. L’étau se resserre contre les immigrés, dans un contexte politique de plus en plus hostile.

« Retailleau fait ça pour décourager les gens. » Sur la place de la République à Paris, le 4 avril, la voix de Mariama Sidibé est contrariée. C’est là que se retrouvent les membres de la Coordination des sans-papiers de Paris (CSP 75) depuis tant d’années pour revendiquer leurs droits. Des pancartes à la main, ils et elles s’élancent chaque vendredi après-midi vers un lieu différent, encadrés par la police et tantôt applaudis par les passant·es, tantôt maudit·es par les automobilistes.

Aux côtés de Mariama, une septuagénaire se plaint de devoir travailler alors que son corps est usé. « Je suis restée sans-papiers vingt ans. » Elle n’aime pas raconter son histoire. « Trop dur », dit-elle. « Les gens meurent noyés pour venir ici. Ils ne savent pas la souffrance qu’on connaît. » Régularisée trois ans plus tôt – « un vrai soulagement » –, elle a travaillé le plus gros de sa vie sans pouvoir cotiser à la retraite, faute de titre de séjour.

Originaire de Côte d’Ivoire, une autre membre du collectif n’en mène pas large à l’écoute des nouveaux critères de régularisation imposés par le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, dans sa circulaire adressée aux préfets et préfètes le 23 janvier, par laquelle il entend rendre l’admission exceptionnelle au séjour (AES dans le jargon) encore plus « exceptionnelle ». « Ne jamais avoir eu d’OQTF, c’est impossible. » Aide-soignante, elle en a fait l’objet, en 2021, après avoir été déboutée du droit d’asile. (...)

« Il y a plusieurs points imprécis, et donc laissés à la libre interprétation des préfets », souligne Joëlle, fervent soutien de la CSP 75. Pour les OQTF, « on ne sait pas s’il faut ne jamais en avoir eu, ou n’avoir aucune OQTF en cours ». Depuis la loi Darmanin, celles-ci ont une durée de vie de trois ans.
Les portes se referment

« On pensait avoir touché le fond au moment de cette loi, réagit Anzoumane Sissoko, mais là c’est pire encore. » Avec ces nouveaux critères, estime cet élu du XVIIIe arrondissement, lui-même ancien sans-papiers, « ils rendent la régularisation quasiment impossible ». Et même si certain·es cochent toutes les cases, « ils ne trouveront pas de rendez-vous en préfecture » du fait de la dématérialisation des démarches et des dysfonctionnements associés. (...)

Fin janvier, la CSP 75 a reçu un mail de la préfecture l’informant qu’une nouvelle circulaire était passée et que les demandes collectives ne seraient plus acceptées, alors qu’elle parvenait à déposer régulièrement quatre voire cinq dossiers au nom du groupe. Jusqu’ici, aucun préfet ou ministre n’avait osé toucher à la relation privilégiée nouée avec ce collectif – obtenue grâce à une mobilisation continue. (...)

Dans l’un des centres d’accueil pour étrangers et étrangères de la préfecture de Paris, où Mediapart a pu se rendre en avril et où il y a encore quelques mois, des sans-papiers affluaient pour demander leur régularisation, les demandes AES ne sont tout bonnement plus traitées. Sur ordre « venu d’en haut », priorité est désormais donnée aux personnes en situation régulière, surtout salariées, venant pour un renouvellement de titre de séjour, nous confie-t-on. (...)

Désormais, la régularisation ne doit être envisagée que pour les métiers en tension (loi Darmanin), dont la liste définitive n’a pas encore été dévoilée.
La question des demandes en cours

« C’est une catastrophe », tranche Me Delphine Martin, également avocate en droit des étrangers et étrangères. Sur trois pages qui ne disent « pas grand-chose », la circulaire Retailleau vient « abroger la circulaire Valls » qui, malgré des défauts, offrait la possibilité d’une régularisation au titre du travail ou de la vie privée et familiale depuis 2012, avec des critères précis. Ces nouvelles consignes n’ont à ses yeux qu’un seul objectif : donner aux préfectures « la possibilité de rejeter massivement les demandes ». (...)

Pour l’heure, Me Charles ne s’est désisté d’aucun dossier en cours. Il dit surtout compter sur la jurisprudence des tribunaux : la préfecture disposant d’un délai de quatre mois pour répondre (délai qu’elle respecte rarement, donnant lieu à un refus implicite), les avocat·es peuvent saisir la justice pour contester une décision de refus implicite. « Les juges voient s’il y a au moins cinq ans de présence en France », précise l’avocat, qui continuera donc de déposer des demandes pour des durées de présence équivalente. (...)

C’est dans ce contexte peu favorable que des livreurs travaillant pour Uber Eats et Deliveroo, à Poitiers, ont déposé collectivement une demande de régularisation le 22 mars ; et ce, bien qu’ils n’aient pas tous sept ans de présence ou qu’ils soient sous OQTF. Lorsque nous les rencontrons dans les locaux de La Cimade, association qui les accompagne, ils reconnaissent qu’ils ne s’attendaient pas à « autant de difficultés ». (...)

Interrogée par Mediapart, la préfecture de la Vienne indique que « l’instruction des situations individuelles est en cours ». La Cimade entend entamer un « rapport de force » avec les autorités, grâce à l’existence de ce groupe « soudé, structuré et organisé » qui revendique ses droits, explique Mathis.

Le jeune bénévole compte ainsi sur le caractère inédit de la mobilisation – une manifestation organisée le 22 mars a réuni cinq cents personnes, dont de nombreux soutiens, et une pétition circule en ligne –, mais aussi du dépôt collectif, une démarche assez exceptionnelle en dehors de la région parisienne.