
Le retour du fantasme du gouvernement des esprits pour faire de vrais nationaux grâce à la séduction d’anciennes identifications recyclées ou de nouvelles identifications, ne concerne pas seulement la France. Nombreux sont les pays européens à revisiter l’histoire pour la ré-agencer en vue d’une gloire plus solide, nombreux sont ceux qui se revendiquent de l’identité chrétienne présentée non comme lieu d’accueil universel, mais comme fondement des us et coutumes occidentaux à protéger.
tous patriotes, gloires nationales et arrangements avec l’histoire
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un conflit sur les délimitations de communautés nationales a traversé toute l’Europe. Communautés de combattants ou de patriotes ou bien communauté incluant tout le monde y compris les juifs, les immigrés, toutes les victimes de la guerre. En intervenant sur le plateau du Vercors pour consolider la décision politique de faire débattre en France de l’identité nationale, Nicolas Sarkozy rouvre de fait ce conflit. En France ne vouloir appeler « Français » que les combattants ou patriotes, c’était affirmer que la nation n’avait pas failli. Or la défaite de 1940 avait été à l’évidence « nationale », l’occupation une humiliation « nationale » et pour pouvoir s’approprier 1945 comme une victoire, elle aussi nationale, il fallait beaucoup d’imagination, nous a rappelé il n’y a pas si longtemps (2003) Pieter Lagrou. La mémoire patriotique a permis alors de restaurer des États nations qui n’avaient tenu aucune de leurs promesses : protéger les citoyens, maintenir un État de droit démocratique, ne pas collaborer avec l’ennemi comme signe de loyauté envers la souveraineté de la nation. C’est alors que s’inventent en France et ailleurs des nations résistantes bien que les résistants n’aient été constitués que de minorités combattantes radicales, marginales politiquement et souvent peuplées d’étrangers....
...Ouvrir le débat dans ce haut lieu de la Résistance, ce n’est donc pas donner une place centrale à la véritable Résistance, toujours marginale et radicale, mais reprendre ce travail de falsification de l’histoire...
...Les histoires revisitées des pays européens servent ainsi à consolider les nations héroïsées ou victimisées. Comme si en France les Français d’aujourd’hui n’étaient pas aussi les héritiers des collaborateurs de Vichy, des tortionnaires en Algérie, des désastres au Rwanda et qu’ils ne se devaient d’entretenir pour le moins, le rapport critique à l’histoire appelé de ses vœux par Jürgen Habermas pour l’Allemagne....
...La revendication des us et coutumes chrétiens se traduit ainsi in fine par différentes options : obligation d’aimer le pays d’accueil de la migration, rejet de ceux qui ne le font pas ou qui ne donnent pas les preuves d’amour attendues : ceux qui fondent un foyer mais ne font pas de mariages exogames, ceux qui ne fondent pas un foyer, ceux qui construisent leur maison sur la terre de leurs pères, ceux qui ne dépensent pas dans le pays les fruits de leur travail, ceux qui montrent par toutes sortes de signes symboliques qu’ils ne sont décidément pas chrétiens.
C’est ainsi que le christianisme n’est pas xénophobe pourvu que l’étranger se naturalise. C’est ainsi que le christianisme offre au nationalisme des arguments symboliques pour haïr les juifs, les roms, les musulmans, les non chrétiens....
...Personne ne parlera au nom de l’État du crucifix de l’Inquisition pour les juifs, celui de la croisade pour les musulmans...
...On aura compris que l’identité est une construction subjective et sociale. Elle suppose que l’individu se soit identifié à des représentations imaginaires successives, c’est-à-dire, selon Freud, qu’il ait aimé ces objets d’identification qui lui ont été proposés.
...Lorsque l’histoire au sein d’un pays n’a pas été partagée mais a effectivement produit des clivages insolubles, les fissures deviennent structurelles et seul un rapport critique à l’histoire permet de construire un espace commun démocratique, celui justement d’une critique qui permettrait pour les uns de rompre avec leur aînés, pour d’autres d’assumer leur singularité, pour d’autres de retrouver une confiance dans le monde.
; ; ;non seulement la question de l’identité nationale est inquisitrice et finalement impudique, mais elle conduit inexorablement à réinventer des classements sociaux sur la qualité plus ou moins bonne des membres constituant la nation, sur les citoyens et sur ceux qui pourraient le devenir. Malheur à ceux qui n’intérioriseraient pas l’efficacité symbolique de cette nouvelle identité nationale. Malheur à la démocratie.■