Ma situation est devenue compliquée quand j’ai voulu renouveler mon titre de séjour en 2022. La préfecture ne répondait pas. Puis il y a eu des problèmes techniques sur la page. J’ai envoyé au moins 200 mails. J’avais des réponses automatiques. J’ai tout fait. J’ai même essayé de prendre rendez-vous directement à la préfecture. Je n’ai jamais réussi, jamais. J’ai appelé tous les numéros possibles. Une fois, on m’a donné un lien. J’ai rempli tout ce qu’il fallait. J’ai eu un récépissé en ligne, mais il durait trois mois. Trouver un travail en trois mois, bonne chance.
Déjà, pour les Français, c’est difficile, alors pour quelqu’un avec un récépissé d’étranger, imaginez. Les patrons ont en tête que les préfectures ne répondent jamais. (...)
Ils savent, les patrons. Et quand c’est comme ça, tu ne peux pas négocier un vrai salaire. Ils savent que tu es très fragile. Quand tu es dans cette situation, tu ne le dis à personne. Tu te caches. Tu te tais. Tu souffres en silence. Les patrons savent très bien que la préfecture ne va pas te renouveler. Toi, tu as un loyer à payer. Tes parents, au pays, ne peuvent pas t’aider. T’envoyer en Europe, c’est déjà un sacrifice de toute la famille. On a peut-être vendu des parcelles pour le faire, ou hypothéqué des maisons. (...)
Les patrons m’ont tout proposé. Il y en a qui te proposent des échanges sexuels. On te trouve mignon, on te dit que tu as de très beaux yeux. Un patron m’a dit : « Tu vas travailler pour 7 euros brut de l’heure de 22 heures à 4 heures du matin pour nettoyer la salle, balayer, passer l’aspi et laver ». J’ai répondu : « Vous allez me déclarer alors ? » Il me dit non. « C’est quoi alors, l’intérêt du brut ? », je lui demande. Il me répond : « Le brut, ça reste dans les caisses du restaurant. » Quand j’ai demandé combien ça faisait en net, il a répondu : « Ça fait 5 euros. » (...)
Moi, je peux encore accepter de travailler 11 heures par jour, même 12 heures, s’il le faut, même 7 jours sur 7, mais on me paye le Smic. Sans ça, je ne peux pas accepter. Je préfère être un voleur. « On n’est plus à l’époque du coton et du sucre », je lui ai dit. Il n’a pas compris. (...)
Je pense que les préfectures savent comment ça marche. Ça leur plaît qu’on se fasse torpiller comme ça. J’ai travaillé dans un groupe où des mecs sont à la fois homme de ménage et commis de cuisine, 75 heures par semaine. J’arrive, le mec est là ; je pars, le mec est encore là. Ça fait un an qu’il travaille 75 heures par semaine pour même pas 1 000 euros par mois. Il rentre tous les soirs en banlieue, à 4 heures par bus de nuit. Il a des cernes, on dirait un boxeur de MMA. Je lui ai dit : « Un jour, tu vas tomber, on te relèvera plus. » Il m’a répondu : « T’inquiète, je suis habitué. » Mais son état de santé se détériore. (...)
Moi, j’étais très souriant. Maintenant, je suis aigri. (...)
J’ai déposé un dossier au tribunal administratif, mais eux aussi ils prennent du temps. Si je colle un procès aux patrons, on va savoir que j’ai travaillé avec un faux titre de séjour et ça va se retourner contre moi. Quand j’aurai mes papiers, je serai un justicier pour tous ceux qui n’ont pas de papiers dans les restaurants. La manière dont les patrons utilisent les gens, c’est à pleurer. L’esclavage, c’est pas fini.