Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
La Tribune
« L’ensemble des médias, et pas seulement les plus à droite, contribuent à légitimer le RN »
#extremedroite #medias
Article mis en ligne le 18 juin 2024

Post-doctorante au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP/EHESS) et docteure en science politique, Safia Dahani mène des recherches sur la légitimation de l’extrême droite contemporaine, et notamment du Rassemblement national (RN). Elle souligne la manière dont les chaînes d’information en continu ont permis au parti de Marine Le Pen de faire progresser ses idées.

(...) SAFIA DAHANI - Ce que les travaux nous montrent, c’est qu’il y a eu un changement dans la médiatisation de ce parti dans les années 2010, dans le sillage de l’ascension de Marine Le Pen à la tête du Front national, devenu Rassemblement national. Il est intéressant de voir la manière dont les médias vont cadrer son accès à la présidence du FN. Elle est élue en 2011 à la tête du parti. Mais dès 2009-2010, elle commence à être invitée dans les émissions politiques de premier plan, en première partie de soirée, sur le service public. Elle débat de controverses nationales avec les ministres sarkozystes de l’époque. Les sondeurs vont la tester, dès 2010, pour l’élection présidentielle de 2012. Marine Le Pen n’est pas médiatisée de la même manière que l’était son père, Jean-Marie Le Pen. Quand Jean-Marie Le Pen était, par exemple, à son époque invité à « L’Heure de vérité » [sur France 2, Ndlr], le journaliste présentait toute sa biographie et rappelait ses ancrages à l’extrême droite. Il y avait des manifestations devant les sièges des chaînes, des appels au boycott... Avec Marine Le Pen, ce n’est plus toujours le cas, et une dynamique nouvelle s’est installée. Il y a cette idée, dans les médias, que c’est nouveau, que c’est une femme, qu’elle présente bien, et que ce n’est pas son père. (...)

les nouvelles chaînes d’info en continu ont fait apparaître de nouveaux espaces médiatiques, avec la nécessité de trouver de nouveaux invités. C’est à ce moment-là que des députés ont été très médiatisés, alors que cela était jusqu’alors plutôt réservé aux ministres. Le deuxième élément, ce sont les logiques de concentration économique de certains médias, où l’on a effectivement vu des lignes éditoriales se droitiser [comme ce fut le cas avec CNews, ex-I-Télé, après son rachat par le Vivendi de Vincent Bolloré, Ndlr]. Mais au-delà des médias conservateurs comme Valeurs Actuelles ou Le Figaro, qu’on repère directement comme des espaces où les idées de l’extrême droite vont être nuancées, atténuées, légitimées, d’autres types de médias vont progressivement véhiculer cette vision d’un nouveau FN-RN en invitant régulièrement des membres et dirigeants de ce parti. Ils vont le faire en arguant que c’est la démocratie, mais en évacuant tout ce que la science nous dit de ce parti, qui est d’extrême droite, réactionnaire, antisémite et raciste. Cela s’est déployé dans l’ensemble du champ journalistique, à l’exception de quelques médias libres et indépendants, y compris dans l’audiovisuel public. (...)

Le fait que le Premier ministre accepte ce « one to one » avec Jordan Bardella a accouché d’une sorte de transfert de légitimité. Il y a cette idée que ça vaut la peine, en fait, de débattre avec le président du RN, d’y accorder du temps, et en « prime time ». Cela légitime plus qu’autre chose Jordan Bardella et son parti. Ce débat revêt quelque chose d’historique, d’un peu nouveau. (...)