
Un dossier des « irritants » France-Algérie refait surface alors que la crise semble s’installer dans la durée entre les deux pays. Le 23 janvier dernier, le Conseil de la nation (Sénat) a approuvé la loi sur la gestion, le contrôle et l’élimination des déchets, qui comporte dans ses articles un élément inédit : l’exigence faite à la France d’« assumer pleinement ses responsabilités historiques, morales et juridiques dans l’élimination de ces déchets radioactifs et reconnaître l’énorme préjudice causé à notre pays et aux populations d’Adrar, de Reggane, d’In Ekker et d’autres régions », selon les termes de la ministre de l’Environnement et de la Qualité de la vie, Nadjiba Djilali.
Entre 1960 et 1966, la France a procédé à dix-sept essais nucléaires sur les sites de Reggane, puis d’In Ekker, dans le Sahara algérien. Onze d’entre eux, tous souterrains, sont postérieurs aux accords d’Évian de 1962, qui actaient l’indépendance de l’Algérie mais dont un article permettait à la France d’utiliser jusqu’en 1967 les sites du Sahara.
« Un message à faire entendre au-delà de nos frontières »
« Que notre position soit claire et fasse l’objet d’un message à faire entendre au-delà de nos frontières », a insisté le président du Conseil de la nation, Salah Goudjil, lors des discussions autour de ce texte de loi qui, pour le moment, ne dispose pas de textes d’application précisant les démarches pour exiger de Paris les opérations de nettoyage des anciens sites d’essais nucléaires. (...)
« Vous êtes devenus une puissance nucléaire et vous nous avez laissé des maladies », a déclaré le président Abdelmadjid Tebboune lors d’un discours fin décembre en s’adressant à la France. « Venez nettoyer, nous n’avons que faire de votre argent. Je ne laisserai pas tomber la mémoire, je ne demande rien, ni euro ni dollars, mais la dignité de nos ancêtres et de nos citoyens », avait ajouté le chef d’État algérien devant les deux chambres du Parlement.
Cette demande, le président algérien l’avait déjà formulée dans son interview avec Le Point en mai 2021. En octobre dernier, devant les médias, Tebboune avait déclaré, en réagissant à la polémique en France sur la révision des accords de 1968 : « Si vous voulez aborder les sujets sérieux, venez nettoyer les sites où vous avez effectué des expériences nucléaires. Il y a des gens qui meurent encore et d’autres sont impactés. Vous êtes devenus une puissance nucléaire, et nous avons eu les maladies. Venez nettoyer Oued Namous où vous aviez développé vos armes chimiques, et jusqu’à présent nos moutons, nos chameaux meurent après avoir mangé de l’herbe contaminée. C’est cela la vraie question, ce n’est pas dans un faux débat sur l’accord de 1968. »
Un chantier commencé sous Sarkozy
Restée secrète durant des décennies, l’existence du site B2-Namous, où la France a effectué des essais d’armes chimiques dans le Sud-Ouest algérien, n’a été révélée qu’en 1997 par une enquête du Nouvel Observateur. (...)
Un accord aurait été signé entre les présidents Bouteflika et Hollande fin 2012 pour la dépollution de ce site, mais aucune information crédible ne renseigne sur l’avancée de ce projet. (...)
Dans son rapport sur la mémoire de la guerre d’Algérie remis en janvier 2021 à Emmanuel Macron, l’historien Benjamin Stora a préconisé « la poursuite du travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences ainsi que la pose de mines aux frontières ». (...)
en juillet 2021, le ministre des Moudjahidines (anciens combattants) de l’époque, Tayeb Zitouni, avait regretté que la France « refuse de remettre les cartes topographiques qui permettent de déterminer les lieux d’enfouissement des déchets polluants, radioactifs ou chimiques non découverts à ce jour ». (...)
(...) « Malheureusement, aucune étude n’est faite pour apprécier l’impact sur les populations. Le seul argument indirect que nous avons est l’augmentation spectaculaire du nombre de cas de cancers au cours des dernières décades », avait regretté, en 2021 le professeur Mostéfa Khiati, président de la Forem et auteur des Irradiés algériens, un crime d’État. (...)
La Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (Ican) a appelé, à plusieurs reprises, la France à contribuer au nettoyage des déchets toxiques provoqués par ses essais nucléaires. « La majorité des déchets sont à l’air libre, sans aucune sécurité, et accessibles par la population, ce qui crée un niveau élevé d’insécurité sanitaire et environnementale », avait averti l’Ican.