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Mediapart
Julian Fernandez : « La décision de la CPI est un tournant majeur »
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #USA #CPI
Article mis en ligne le 22 novembre 2024

Pour le professeur de droit international Julian Fernandez, la décision des juges de la CPI de délivrer des mandats d’arrêt internationaux contre Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant aura un coût sévère pour Israël sur les plans diplomatique et politique, mais aussi économique et militaire.

(...) Mediapart : Comment analysez-vous la décision des juges de la Cour pénale internationale ?

Julian Fernandez : C’est un tournant majeur. Officiellement, pour la Cour pénale internationale, Benyamin Nétanyahou est un suspect en fuite, un fugitif. Cela signifie que les 123 États parties (124 au 1er janvier avec l’Ukraine) sont, sur demande de la cour, censés arrêter Nétanyahou et le lui remettre, si jamais il venait à visiter leur territoire.

Évidemment, le coup judiciaire ne sera pas immédiat. Il faut être lucide. Il est peu probable que Nétanyahou soit arrêté. Personne n’ira le chercher à Jérusalem ou à Tel-Aviv. Tout le monde sait qu’il y aura des résistances très fortes, mais pour autant, ce n’est pas un geste nul et sans conséquence. (...)

C’est un coup important porté à la diplomatie d’Israël, qui va considérablement peser sur les rencontres et les voyages que fera Nétanyahou. Des États comme la France vont se sentir mal à l’aise pour l’accueillir, craignant d’être pointés du doigt : ils n’aimeraient pas que la cour dénonce leur non-coopération s’ils venaient à accueillir Nétanyahou à Paris et à ne pas le remettre à la CPI.

Il n’y aura pas que des effets symboliques. Il y aura des effets indirects, sur le plan diplomatique et politique d’abord, avec des complications pour Nétanyahou pour voyager, mais aussi un coût économique, militaire. Des recours vont pouvoir être formés en droit interne contre des États qui continuent de vendre des armes à Israël alors que ses dirigeants sont recherchés pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre. C’est un élément supplémentaire pour nourrir à l’étranger des procédures visant à compliquer les ventes d’armes à Israël. (...)

La décision intervient deux semaines après l’élection de l’un des plus grands alliés de Nétanyahou, Donald Trump, et alors que la CPI est soumise depuis des mois à des pressions maximales… Celles-ci ne vont pas s’éteindre. Faut-il craindre des représailles ?

Oui, les pressions sont maximales sur la cour mais aussi, avec le retour de Trump, très hostile à la CPI, et alors que les campagnes israéliennes à Gaza contre les Palestiniens continuent d’être extrêmement destructrices. Israël mène la plus longue opération militaire contre les Palestiniens de toute son histoire.

Avec cette décision, la CPI et ceux qui l’incarnent vont être encore plus dans le viseur. Du côté des alliés d’Israël, et en particulier des États-Unis, sous Biden, et encore plus demain avec Trump, il faut s’attendre à des contre-mesures. On se souvient des représailles déjà très violentes émises contre l’ancienne procureure Fatou Bensouda, lorsqu’elle avait décidé d’ouvrir une enquête sur la situation en Palestine.

Les trois juges qui ont signé ces mandats d’arrêt, ainsi que le bureau du procureur, peuvent parfaitement souffrir de mesures d’interdiction de visa, de sanctions financières, de poursuites internes dans ces États, bref, de toute une série de procédures bâillons ou de sanctions pour les punir.

Je n’irai pas jusqu’à dire qu’ils peuvent risquer des assassinats ou des empoisonnements mais, en tout cas, ils peuvent souffrir de conséquences économiques, de restrictions de voyages. (...)

Il faut espérer que les États parties les protègeront. Dans quelques semaines, début décembre, aura lieu la 23e assemblée des États parties à La Haye (Pays-Bas). Une responsabilité très forte pèsera sur les États présents pour s’assurer de la protection du personnel de la cour.

Alors que le droit international est donné pour mort avec la guerre à Gaza, est-ce que cette décision change la donne ?

Elle est une bonne nouvelle dans la quête de justice, dans une situation de destruction et de violations systématiques. Elle est aussi une bonne nouvelle pour la CPI. En deux ans, la cour a visé par mandat d’arrêt le dirigeant d’une des puissances nucléaires, membre permanent du Conseil de sécurité, la Russie, et maintenant, les dirigeants d’un État considéré comme une démocratie, allié des Occidentaux, Israël. Tout ça en temps réel, c’est-à-dire pour des crimes qui sont commis maintenant. C’est inédit, sans précédent, que la justice pénale internationale s’intéresse à des dirigeants de puissances ou d’États considérés comme des démocraties pour des crimes commis en temps réel.

Certes, la CPI a mis du temps, mais c’est tout à son honneur d’incarner, et c’est peut-être la dernière fois, cette quête d’universalité du droit, de dire : « il n’y a pas de privilèges ; soit vous respectez les obligations qui sont les vôtres dans une guerre ou une période conflictuelle, soit vous ne les respectez pas et nous activons alors des instances qui défendent cette vocation universelle du droit sans privilèges catégoriels ou individuels ».

C’est précieux et en même temps, attention, c’est beaucoup de responsabilités sur les États, maintenant et pour la suite. Parce qu’il faut penser aux victimes. Il faudra qu’un jour justice soit rendue. (...)

Je rappelle néanmoins que délivrer un mandat d’arrêt ne vaut pas culpabilité. Le standard de preuve pour délivrer des mandats d’arrêt ne sera pas celui exigé pour une éventuelle condamnation judiciaire si, un jour, il y a procès. À ce stade, Nétanyahou, Gallant et Deïf ne sont jugés coupables de rien, mais ils sont officiellement recherchés.