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Club de Mediapart/ Judith Butler Philosophe et professeure à l’université Berkeley
Judith Butler : Naïve et instrumentalisée ?
#JudithButler #sionisme #antisemitisme #racisme
Article mis en ligne le 1er février 2024
dernière modification le 30 janvier 2024

Plusieurs personnes m’ont demandé de clarifier ce qui s’est précisément passé avec la Mairie de Paris concernant l’annulation de l’événement du 6 décembre sur le thème « Contre l’antisémitisme, son instrumentalisation, et pour la paix révolutionnaire en Palestine ». J’ai eu le temps de réfléchir et je voudrais clarifier la chaîne d’événements. Outre la sanction visant Houria Bouteldja, cette décision cherchait à réduire au silence ma position antisioniste au sein de la politique et de la pensée juive. (...)

j’ai été contactée par la mairie de Paris pour m’informer, quelques jours auparavant, que l’événement prévu le 6 décembre sur le thème « Contre l’antisémitisme, son instrumentalisation, et pour la paix révolutionnaire en Palestine » serait annulé. Je devais y prendre la parole, ainsi qu’Angela Davis, qui devait envoyer une vidéo exprimant son point de vue en réponse à Françoise Vergès qui a demandé si Angela Davis était d’accord pour enregistrer un message de solidarité pour l’évènement.

Il est vrai que j’ai été déconcertée par les événements, que ces conflits ont une histoire et un sens en France que je n’avais pas les moyens de comprendre parfaitement. Mais j’ai eu le temps de réfléchir et je voudrais clarifier la chaîne d’événements. (...)

L’événement était en fait co-organisé par ce groupe, Paroles d’honneur, avec l’Union Juive Française pour la Paix et Tsedek !, l’Action antifasciste Paris-banlieue, Révolution permanente, et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA).

Le bureau du maire a déclaré ne pas vouloir être « associé » à Bouteldja, ses opinions étant selon eux antiféministes, homophobes et antisémites. J’ai expliqué que Houria ne prenait pas la parole lors de l’événement, mais cela n’avait guère d’importance, car il était hors de question pour eux d’être associés à elle ou de soutenir son groupe. (...)

En effet, j’espérais expliquer patiemment et clairement mon point de vue, mais il est clair que ce point de vue, aussi différent soit-il de celui d’Houria Bouteldja, posait également problème.

Ce serait effectivement « naïf » de ma part de penser que seule Houria était visée à travers moi. Ils ne voulaient pas non plus que quelqu’un comme moi, relativement connu, adopte une position qui s’oppose clairement au soutien inconditionnel de la maire à l’égard d’Israël.

En effet, Anne Hidalgo était prête à marcher ouvertement avec Eric Zemmour et Marine Le Pen dans la manifestation contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023. Aussi puissants que soient mon rejet de l’antisémitisme et mon souhait de me joindre à une marche pour le combattre, je ne défilerais pas avec l’extrême-droite, qui « instrumentalise » le mouvement contre l’antisémitisme pour intensifier et « justifier » le sentiment et la politique anti-migrants et anti-musulmans (...)

Si j’avais pu prendre la parole, j’aurais expliqué que la tradition juive a toujours compté des socialistes et des syndicalistes qui n’adhéraient pas au projet sioniste, que les Brit Shalom sionistes affirmaient un État binational et refusaient les principes de souveraineté juive qui sont aujourd’hui inscrits dans la loi israélienne, que l’État d’Israël ne représente pas l’ensemble du peuple juif et que la critique et l’opposition à l’État d’Israël dans ses actions génocidaires constituent en fait, pour moi, une obligation éthique juive, au même titre que l’engagement à cohabiter avec les non-Juifs.

L’opposition à l’antisémitisme doit être liée à l’opposition à tout racisme. (...)