Jérôme Laronze a été tué par un gendarme en 2017 à la suite d’un contrôle sur sa ferme. Alors que le procès n’a toujours pas eu lieu, la juge d’instruction envisage de détruire les scellés. Les proches de l’éleveur sont gagnés par la colère. Reportage.
Plus de huit ans après la mort de Jérôme Laronze, éleveur du département tué de trois balles par un gendarme le 20 mai 2017, le procès n’a toujours pas eu lieu. Aujourd’hui, les proches de Jérôme Laronze craignent un non-lieu, et qu’il n’y ait jamais de procès. (...)
« On nous a annoncé au printemps une possible destruction des scellés qui recoupent toutes les pièces à conviction saisies pendant l’instruction », explique Marie-Pierre Laronze, l’une des quatre sœurs de Jérôme, éprouvée par les années de procédures. Très concrètement, la juge d’instruction en charge du dossier propose de détruire les douilles retrouvées sur la scène de crime - même celles retrouvées six ans après les faits, à un endroit qui contredit la position annoncée du gendarme tireur – ainsi que la voiture criblée de balles dans laquelle Jérôme Laronze est décédé.
Or ces douilles sont fondamentales pour comprendre ce qu’il s’est précisément passé le jour de la mort de l’agriculteur. Pour rappel, c’est à la suite d’un énième contrôle où son cheptel devait être confisqué que l’éleveur avait fui. Recherché durant neuf jours, il a été retrouvé par deux gendarmes dans un chemin de terre, probablement assoupi au volant de sa Toyota. Cinq balles ont été tirées par un gendarme en sept secondes, selon l’enregistrement sonore du Taser que le gendarme portait. Trois balles ont été fatales à Jérôme Laronze.
« Le récit du gendarme ne tient pas »
Selon la version du gendarme auteur des tirs mortels, l’agriculteur aurait foncé sur lui. Son avocat défend la légitime défense. Mais la balistique suggère d’autres pistes (...)
Lors des investigations menées en 2017, quatre douilles ne sont pas retrouvées. « Elles permettent de comprendre la scène de crime, où se trouvaient Jérôme et le gendarme. Ce sont des éléments objectifs », soutient Marie-Pierre Laronze. Suite à la plainte de la famille, la juge d’instruction finit par envoyer une nouvelle équipe en novembre 2023 – soit six ans après les faits – pour retrouver les douilles manquantes. « Les cinq douilles ont finalement été retrouvées au même endroit. Ça a été un soulagement et un réconfort », confie Marie-Pierre Laronze. (...)
Les parties civiles demandent désormais des expertises complémentaires. (...)
L’annonce de la destruction des scellés, douilles comprises, par la juge d’instruction, a été reçue comme un coup de massue par Marie-Pierre Laronze. « Quelle est la conclusion à laquelle il faut arriver ? La justice ne veut pas instruire dans ce dossier ! »
Celles et ceux qui ne veulent pas qu’on « enterre » l’affaire se sont réunis devant la cité administrative de Mâcon le 9 octobre, à l’appel de la Confédération paysanne, dont Jérôme Laronze a été un porte-parole départemental. Les visages sont fermés. « On achève bien les paysans », ou bien encore « Pas de justice, pas de paix » sont autant de pancartes déployées. (...)
« Il y a des violences policières en milieu rural »
« Se battre contre la justice et la gendarmerie, c’est exténuant », souffle Marie-Noëlle Laronze, une autre sœur de Jérôme ,vêtue d’un t-shirt sur lequel il est écrit « Justice et vérité ». Avec son compagnon, ils ont repris la ferme de Jérôme. « Faire perdurer la ferme, c’est une façon de le garder en vie », murmure-t-elle. Une façon aussi pour elle de tenir, huit ans après la mort de son frère. « Il y a des violences policières en milieu rural. Ce sont les gars du Psig [peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, ndlr] qui venaient sur la ferme de mon frère lors des contrôles, alors que Jérôme n’avait rien fait », dénonce-t-elle.
Mais elle ne renonce pas : « On a eu deux belles victoires. L’une, c’est le tribunal administratif, qui a jugé les contrôles irréguliers et abusifs. » Le 28 février 2020, le tribunal administratif de Dijon a en effet jugé illégaux plusieurs contrôles subis par Jérôme Laronze avant sa mort.
Trois de ces contrôles avaient été effectués par la direction départementale de protection des populations (DDPP) en 2015 et 2016. Or, les agents n’avaient ni l’accord d’un magistrat ni celui de l’éleveur pour pénétrer avec des gendarmes dans la ferme. L’administration n’a pas fait appel de cette décision. (...)
« La deuxième victoire, c’est le rapport de la défenseure des droits, poursuit Marie-Noëlle. Elle reprend tout ce que nos avocats disaient depuis le début. Elle a eu accès au dossier d’instruction et tire la même conclusion que nos avocats. » Dans sa décision du 23 décembre 2024, la défenseure des droits, Claire Hédon, saisie par la famille, considère que les tirs mortels du gendarme étaient « disproportionnés » et « pas absolument nécessaires », en l’absence de danger « actuel et imminent ». Pour elle, le gendarme a enfreint le Code de la sécurité intérieure.
La défenseure des droits pointe aussi le non-respect, par cinq gendarmes, de l’obligation de porter secours. Dans son rapport, elle interroge la responsabilité de la hiérarchie qui aurait dû engager « a minima » une enquête administrative envers l’agent mis en cause et ses collègues. Claire Hédon a donc saisi le ministère de l’Intérieur – Bruno Retailleau occupait alors ces fonctions – en lui demandant d’engager dans un délai de deux mois « une procédure disciplinaire » à l’encontre des gendarmes mis en cause. Aucune suite n’a été donnée par le ministre.
« Monsieur Retailleau était censé suivre les recommandations faites par la défenseure des droits, mais il ne l’a pas fait » (...)
Quelles suites vont désormais être données à l’affaire ? La juge d’instruction a rendu son avis de fin d’information le 19 mai dernier. Autrement dit, elle estime avoir terminé son enquête. Mais cet avis ne comporte aucune appréciation sur les faits ou la procédure. (...)
Plusieurs scénarios se dessinent. Si la juge d’instruction accepte les investigations complémentaires, l’information judiciaire sera relancée. Elle peut aussi décider de renvoyer le gendarme devant la cour criminelle pour qu’il soit jugé pour homicide, sans nécessairement procéder à des investigations complémentaires. Le troisième scénario est une ordonnance de non-lieu : l’affaire ne débouchera pas sur un procès si la juge d’instruction considère que les conditions d’ouverture du feu ont été régulières. (...)
Audience le 13 novembre
Les parties civiles ont fait appel de cette décision de destruction des scellés. L’audience se tiendra à la cour d’appel de Dijon le 13 novembre (...)
À l’issue de l’audience, la décision pourra être immédiate ou mise en délibéré. Cette audience se tiendra le jour où Jérôme Laronze aurait dû fêter ses 45 ans. Sur son tracteur, Nicolas Maillet, l’actuel porte-parole de la Confédération paysanne en Saône-et-Loire, refuse d’imaginer un non-lieu. (...)