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En fuyant le Soudan, Khalid, Aladdin et Mohammed avaient un objectif : rejoindre le Royaume-Uni. Mais les conditions de vie à Calais, les drames dans la Manche ou encore le manque d’argent pour la traversée ont mis un terme à leurs ambitions. Les trois jeunes hommes envisagent désormais de rester en France, comme de nombreux autres migrants présents dans le nord.
(...)une partie des migrants présents dans le nord de la France renoncent finalement à leur projet initial de gagner le Royaume-Uni. "La moitié des personnes qui viennent nous voir n’ont plus envie de traverser la Manche, et projettent plutôt de tenter leur chance en France, affirme Caroline Delabre, coordinatrice du bus de l’accès aux droits et doctorante à l’université catholique de Lille. Plus le temps passe, et plus on traite de questions relatives à l’asile".
Depuis 2022, ce bus permet aux exilés de Calais de poser toutes leurs questions aux bénévoles, étudiants en droits et avocats présents lors des permanences. Sur l’année universitaire 2023-2024, l’équipe a reçu 495 personnes, contre 263 un an avant. La moitié sont des ressortissants soudanais. (...)
"Même si cela reste une minorité sur l’étendue du littoral, on croise souvent des personnes qui envisagent de rester ici, confirme Angèle Vettorello, coordinatrice d’Utopia56 à Calais. Surtout après des naufrages, comme à la fin de l’été dernier. Souvent, les rescapés de ces drames veulent au moins faire une pause dans leur parcours, et étudier les possibilités qui existent de ce côté de la Manche".
La longue attente des "dublinés"
Une fois leur décision prise, rien n’est encore fait pour les migrants : beaucoup sont bloqués car sous procédure Dublin. C’est d’ailleurs la majorité des cas traités par le bus de la Cimade. Enregistrés dans le premier pays de l’UE qu’ils ont atteint, les exilés ne peuvent prétendre au statut de demandeur d’asile en France et bénéficier des droits qui en découlent. (...)
Ce Soudanais arrivé en France il y a un mois et demi souhaite rester sur le territoire, pour "devenir mécanicien à Lille". "Je me sens très bien finalement dans cette ville", confie-t-il en souriant, capuche rouge sur la tête. Mais "dubliné" lui aussi après un passage par l’Italie, il doit patienter pour pouvoir enfin déposer sa demande d’asile et commencer son projet.
En attendant, faute de mieux, le jeune garçon dort dans une tente, sous un hangar.
Demander l’asile, mission impossible
Parfois, la perspective d’attendre encore six mois à Calais dans ces conditions poussent les migrants à revenir une nouvelle fois sur leur décision, et à tenter coûte que coûte une traversée.
Mais pour ceux qui restent déterminés à s’installer en France s’ouvre alors une nouvelle étape, celle de la demande d’asile. Là encore, le chemin est semé d’embûches. (...)
Des démarches complexes et bien loin du littoral qui nécessitent des déplacements en train ou en bus, difficiles pour les exilés. "Ici, rien n’est fait pour permettre aux gens d’arranger leur situation, d’envisager autre chose que la traversée de la Manche, déplore Angèle Vettorello. Se lancer dans une demande de protection depuis un camp, c’est compliqué. Et les mois d’attente qui suivent en découragent beaucoup". (...)
À chaque permanence, le bus de La Cimade tente de trouver des solutions. (...)
Grâce à une association présente dans la "jungle", Abdalghani entame une formation à l’université de Lille, en tant que demandeur d’asile. Son dossier est alors rejeté une première fois, mais il obtient la protection subsidiaire après un recours. Aujourd’hui, il possède un permis de séjour de dix ans, et travaille en tant qu’aide-soignant dans un EHPAD. Il poursuit en parallèle des études de langues, et a créé l’association Sounds of Soudan pour sensibiliser le grand public à la guerre qui détruit son pays.
"Heureux à Lille", Abdalghani "ne regrette pas du tout" le choix qu’il a fait il y a huit ans. "Ce qui se passe à Calais, tous ces drames, cela me touche beaucoup car je me dis que ça aurait pu être moi il y a quelques années. Quand je rencontre des Soudanais à la gare, ils me confient leur détresse et ça me fait mal. Moi, j’ai eu beaucoup de chance".