Entre 100 et 130 jeunes filles étrangères, en attente de reconnaissance de leur minorité, font partie du programme proposé par le centre d’accueil de jour de Médecins sans frontières, à Pantin. Le but : assurer un suivi complet de ces adolescentes précaires, souvent à la rue et à la merci des réseaux d’exploitation, pour ne pas qu’elles s’évanouissent dans la nature. Reportage.
Quand on lui a annoncé qu’elle n’était pas mineure au regard du droit français, Zahra*, 16 ans, "17 dans un mois", a cru que le problème venait d’elle. "Je me dis que c’est peut-être à cause de mon corps", suggère-t-elle. Elle écarte les bras sur les côtés pour expliquer ce qu’elle veut dire : elle se trouve trop grosse. Comme si un corps imposant était signe de maturité. Elle a pourtant un visage juvénile et ponctue toutes ses phrases d’un rire nerveux d’adolescente. "Ce n’est pas de ta faute", lui répond une membre de Médecins sans frontières (MSF) assise en face d’elle dans un centre d’accueil de jour à Pantin, au nord-est de Paris.
Pour cette population victime de violences, dont des viols, la présence majoritaire de garçons était de toute évidence un élément dissuasif. L’équipe de MSF a alors décidé de changer les choses. "Un lieu réservé aux garçons venait d’ouvrir dans Paris, ça nous a aidé dans notre réflexion d’en ouvrir un pour les filles", raconte Diane Lafforgue.
Désormais, elles sont de plus en plus nombreuses. On compte 15 "inclusions dans le programme" par mois. Entre 100 et 130 filles viennent dans ces locaux dont les murs sont recouverts de dessins et de messages qu’elles ont écrits à la manière des collages féministes dans les rues : "Mon corps n’est pas un sac de boxe" ou, plus sobrement, "Stop".
"Elles sont énormément abordées, sollicitées dans la rue par des hommes, car elles sont jeunes, naïves et peu à l’aise avec les codes sociaux. Au dehors, elles sont vulnérables. Mais ici, personne ne leur veut du mal", commente Diane Lafforgue. (...)
Comme Zahra, les jeunes filles étrangères accueillies dans ce lieu souffrent d’un manque de confiance et d’estime de soi, après des parcours jalonnés d’abus et, souvent, d’exploitation. La non-reconnaissance de leur minorité par l’État français est le dernier coup dur en date. Le temps de leur recours, elles peuvent venir dans ce centre d’accueil la journée, entre 9h et 18h, pour manger, se laver, dormir, faire des activités physiques ou manuelles, ou bien simplement s’allonger sur un tapis près des radiateurs, comme le font deux d’entre elles ce jeudi 27 novembre. Depuis juillet 2024, ce lieu est dédié aux jeunes filles. (...)
Le centre d’accueil de MSF n’est pas simplement une salle de repos chauffée. Il propose un accompagnement médical et socio-juridique individualisé. "Quand elles entrent dans le programme, elles ont un premier rendez-vous avec une infirmière qui évalue s’il y a eu des violences et des rapports sexuels non protégés dans les cinq derniers jours, détaille Véga Levaillant. Dans un second temps, la jeune fille voit un assistant social, un juriste, un psychologue et un médiateur interculturel. C’est un lieu de suivi, le temps de leur recours pour la minorité, qui prend en moyenne de six à neuf mois."
Au besoin, il arrive que les équipes de MSF, véritables chaperons, accompagnent ces jeunes filles à l’hôpital pour pratiquer une IVG (interruption volontaire de grossesse) ou au commissariat, pour déposer une plainte. Pour les soutenir "car elles sont en mode survie", explique Diane Lafforgue. (...)
Exploitation
À force de poser des questions, Diane Lafforgue et ses collègues ont compris que la majorité des personnes accueillies, originaires de République démocratique du Congo (RDC), étaient arrivées en avion avec de faux papiers (qui les présentent comme majeures, pour faciliter les voyages internationaux) via un réseau de traite. Les violences commencent souvent dès la sortie de l’aéroport. Le phénomène est si répandu qu’il a pris de court les équipes de MSF qui essaient désormais de se former aux thématiques d’exploitation. (...)