
J’aimerais ne pas avoir à écrire ce genre de billet. Malheureusement, ce qui suit fait partie de la vie universitaire.
Mon université applique désormais les droits d’inscription majorés (x16) pour étudiants et étudiantes « extra-communautaires » en Master. Dans la forme, l’histoire prend en outre une tournure d’une grande brutalité.
Mise à jour. Entre la rédaction de ce billet et sa mise en ligne a eu lieu le 17 décembre un Conseil d’Administration de l’université de Strasbourg. Celui-ci a lâché un tout petit peu de lest, suite à la mobilisation1 : l’échéance est fixée au 17 janvier au lieu du 20 décembre, et une promesse de principe d’« examen au cas par cas » a été donnée par l’administration. C’est peu, mais pas rien. Détails dans ce communiqué de pressedu syndicat étudiant AES
Mon université, celle de Strasbourg, applique cette année les « droits différenciés » pour les étudiantes et étudiants « extra-communautaires » (i.e. de nationalité non UE+Norvège, Islande, Liechtenstein, Suisse, Monaco, Andorre), hors premier cycle —donc essentiellement en Master ou Grande École. Cette appellation pudique signifie des droits de 3879€ au lieu de 250€. Le nom et la chose viennent d’un arrêté, contesté sans succès devant le Conseil d’État, sur les prémices duquel j’avais déjà écrit en décembre 2018.
Ce 10 décembre le couperet tombe : des centaines de personnes qui avaient payé seulement les 250€ sont mises en demeure de payer le solde avant le 20 décembre faute de quoi elles seront désinscrites. Ceci crée des quantités de situations dramatiques. Une tribune d’universitaires et autres personnalités, comme la maire de Strasbourg, etune pétition liée ont été mises en ligne le 15 décembre.
Je donne ci-dessou
s a) l’histoire nationale de cette affaire
b) l’histoire locale à Strasbourg (...)
c) des exemples de témoignages (...)
c) Quelques témoignages
Le syndicat AES a collecté des témoignages. Dans la journée de l’ouverture de l’appel, il dit en avoir immédiatement reçu plus de 50, puis encore d’autres. Vous en trouverez p. 13 à 19 dans son dossier.
Je n’arrive pas à lire ça sans éprouver physiquement de la honte, et de l’écœurement. Voilà qui notre pays écrase, censément parce qu’il faut bien trouver de l’argent.
Je ne peux reproduire que de courtes citations. Vous pouvez aller lire les textes complets.
« Je dors par terre chez une personne qui m’héberge contre un petit loyer, l’argent que je lui donne étant presque tout ce qui me reste.
La nuit, je révise dans les toilettes pour ne pas le déranger. C’est là, assis sur le sol froid, que je lutte pour me concentrer, pour ne pas sombrer, pour ne pas éclater en sanglots. Parfois, je m[‘y] cache pour appeler mes parents. Je leur mens, je leur dis que tout va bien. […] Je me bats pour ne pas céder à la peur, mais elle est toujours là, oppressante, écrasante. J’ai sacrifié tant de choses pour venir ici. J’ai laissé derrière moi ma famille, mes repères, et maintenant, je suis seul, avec ce cauchemar de 3 800 euros au-dessus de ma tête. Chaque jour, je redoute le moment où je n’aurai plus rien. Où je me retrouverai dehors, sans domicile, sans manger.
Je pleure souvent, seul, dans le silence de la nuit. »« J’essaie de minimiser mes dépenses […] même en enlevant les choses les plus nécessaires (qualité de nourriture et pas d’activités et loisirs). […] Je n’ai pas encore ma carte vitale donc j’ignore mes problèmes de santé […] et sur le côté mental ça me stresse énormément et je ne peux plus me concentrer sur mes cours et mes examens.
J’ai oublié de mentionner que je n’ai pris connaissance [des droits majorés] qu’après avoir validé mon choix sur le site et reçu un mail de la scolarité parce que ce n’était pas mentionné sur google quand j’ai fait ma recherche, et même quand j’ai parlé avec mes copains déjà inscrits. »« Je viens d’apprendre il y a deux jours que je […] dois payer 3879 euros alors que mon inscription a été validée. Quand je me suis renseigné pour comprendre cette situation on m’a dit que la personne qui a validé mon dossier lors de mon paiement des 243 euros a fait une erreur que je dois payer les frais différenciés. […]
Cette nouvelle impacte énormément non seulement mon quotidien et ma santé mentale je suis d’arrivée à Strasbourg et j’ai rencontré d’énormes difficultés à trouver déjà un logement, je suis venue avec un mois de retard […] je souffre d’une maladie invalidante et […] cette mesure qui tombe dessus je suis carrément perdue, je suis stressée et très angoissée qu’est-ce que je vais faire ? »
Je connais aussi le cas d’une étudiante qui a appelé ses parents qui… se sont endettés pour emprunter la somme nécessaire. Ce n’était pas au programme pour eux.
La Constitution impose des frais « modiques » « tenant compte de la capacité financière des étudiants ». Conseil Constitutionnel, décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019.
d) commentaires personnels.
1. Certaines composantes (=facultés), qui ont un peu de réserve d’argent et pas trop d’étudiantes et étudiants concernés, s’orientent vers un soutien par des aides individuelles compensant le surcoût. (...)
2. C’est parce que des personnes suffisamment nombreuses et actives ont dénoncé la situation et demandé le changement que les choses ont bougé un peu. Si vous n’êtes pas d’accord, faites-le savoir. Relayez la pétition. Faites lire la tribune, le dossier d’AES, ou ce présent billet. (...)
3. Le racisme n’est pas une affaire de haine ou d’affect envers un ou des groupes vus comme « autres », même s’il est secondairement, pour une part ça aussi. C’est une mécanique, une arme politique. Ici, chacun et chacune a ses raisons. Raisons qui aboutissent à choisir d’écraser le groupe déjà précaire des « autres », et c’est ça qui compte, c’est là qu’est le racisme. (...)