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Mediapart
Israël fait discrètement avancer l’annexion de la Cisjordanie
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza
Article mis en ligne le 25 novembre 2024

Saisies record de terres, démolitions, nouvelles infrastructures et légalisation de dizaines de colonies… Depuis le 7 octobre 2023, le gouvernement israélien accélère sa mainmise sur le territoire palestinien, sur le terrain et administrativement, transformant l’occupation en annexion.

(...) En à peine deux ans, ce chef d’un petit parti ultranationaliste, le Parti sioniste religieux, a orchestré une série d’arrangements en apparence bureaucratiques qui transforment la nature du système qui régit l’occupation israélienne en Cisjordanie depuis plus d’un demi-siècle.

Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche devrait lui donner l’occasion de formaliser cette annexion qui ne dit pas son nom. « L’année 2025 sera, avec l’aide de Dieu, celle de la souveraineté sur la Judée et Samarie », a-t-il promis le 11 novembre, reprenant le nom biblique qu’emploie une large partie des Israélien·nes pour désigner la Cisjordanie, lors de la réunion hebdomadaire de ses troupes à la Knesset, le Parlement israélien.

Avec seulement 7 députés sur 120, Bezalel Smotrich devient, fin 2022, un allié indispensable à Benyamin Nétanyahou pour bâtir son gouvernement et revenir au pouvoir. En échange, il lui arrache la promesse, inscrite dans un accord de coalition, de démanteler l’Administration civile en Cisjordanie, l’organe militaire qui gère le quotidien de l’occupation dans les territoires palestiniens. (...)

Au printemps 2024, Smotrich, qui a été formé dans une école sioniste religieuse radicale dans une colonie près de Ramallah, a achevé sa révolution silencieuse. L’armée nomme Hillel Roth, issu de la colonie ultraviolente d’Yitzhar, dans les environs de Naplouse, comme adjoint au général qui gère l’Administration civile. Roth devient ainsi une sorte de gouverneur de la Cisjordanie. À la différence de ce qui se faisait jusqu’alors, Hillel Roth n’est pas un militaire. Et il n’a d’adjoint que le nom : il répond de ses actes directement auprès de Smotrich.

« Tous les pouvoirs sont entre les mains d’Hillel Roth : il signe les ordres, il convoque le Comité supérieur de planification, il nationalise des terres, […] il signe les actes d’expropriation pour les routes, tout est entre ses mains. Tous les pouvoirs civils », expliquait Bezalel Smotrich lors d’un événement privé, début juin, enregistré par un militant de l’organisation anticolonisation La Paix maintenant. Une vingtaine de juristes, sous les ordres du ministre des finances, finalisent en juin et juillet le transfert des pouvoirs.
Annexion silencieuse

L’armée est désormais complètement écartée du processus de décision israélien en Cisjordanie, sauf pour les questions de sécurité, résume Michael Sfard, avocat défenseur des droits humains, dans une tribune parue dans Haaretz le 11 juillet. L’Administration civile existe toujours, mais elle est une coquille vide. (...)

Les citoyens occupants contrôlent directement la population civile occupée. « C’est une annexion qui ne dit pas son nom », juge Yonatan Mizrahi, de l’ONG La Paix maintenant. « Une annexion qui n’accorde aucun droit aux Palestiniens », puisqu’elle n’est pas formalisée légalement.

« La prochaine étape consistera à tenter d’appliquer la loi israélienne en Cisjordanie », note Ziv Stahl, directrice exécutive de l’ONG israélienne de défense des droits humains Yesh Din. Son organisation a publié en août une analyse, avec trois autres organisations israéliennes, de cette « réforme silencieuse ». Elle craint que la Cour suprême israélienne, largement affaiblie par l’autre grande réforme annoncée par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou – celle de la justice, qui a jeté des centaines de milliers d’Israélien·nes dans les rues – ne soit pas en mesure de contrer l’annexion le moment venu. (...)

Le plan Trump, en 2020, proposait l’annexion de certains grands blocs de colonies en échange d’un État palestinien. Bezalel Smotrich qui, en mars 2023, lors d’une visite privée à Paris, soutenait que « les Palestiniens n’existent pas parce que le peuple palestinien n’existe pas », veut à tout prix éviter ce scénario – à l’unisson des colons.
Plus de 700 Palestiniens tués

Sur le terrain, la perspective d’un État palestinien semble depuis bien longtemps une chimère à laquelle s’accrochent les pays européens et occidentaux pour perpétuer un statu quo qui n’existe plus, faute de vouloir agir. Les Palestinien·nes dénoncent depuis des années une annexion de facto de la Cisjordanie, dont les « exemples les plus éloquents » sont « l’établissement et l’expansion des colonies israéliennes, la confiscation de terres palestiniennes et la construction du mur d’annexion sur le territoire occupé », énumérait ainsi l’ONG de défense des droits humains palestinienne Al-Haq dans un rapport en 2021. (...)

« Les dirigeants internationaux doivent se réveiller à présent car Israël a clairement l’intention de faire disparaître la Palestine et le peuple palestinien, dénonçait dans un communiqué publié en juillet Issam Younis, le directeur général de l’ONG de défense des droits humains palestinienne Al-Mezan. La solution à deux États n’est plus guère pertinente avec l’expansion des colonies et les accaparements de terres qui se poursuivent. » (...)

La guerre a largement affaibli les Palestinien·nes de Cisjordanie, traumatisé·es par les massacres israéliens à Gaza, commis avec le soutien tacite ou affiché d’une partie de la communauté internationale. L’économie palestinienne est plombée par la suspension de la plupart des permis de travail pour Israël et par les retenues sur les taxes douanières ordonnées par Bezalel Smotrich, qui rêve d’une banqueroute de l’Autorité palestinienne.

En septembre, l’Ocha recensait 793 obstacles physiques aux déplacements des Palestinien·nes en Cisjordanie – y compris à Jérusalem-Est. Les entrées des principales villes et des villages ont été condamnées ou ne sont ouvertes que quelques heures par jour, renforçant encore l’enclavement des zones palestiniennes sur ce territoire morcelé. Les colons ont alors le champ libre.

La guerre, catalyseur de la colonisation (...)

La Cour pénale internationale enquête depuis 2019 sur la colonisation en Cisjordanie, une perspective qui pouvait dissuader Israël d’avancer trop formellement dans l’annexion. Mais Benyamin Nétanyahou ainsi que son ancien ministre de la défense, Yoav Gallant, sont désormais sous le coup de mandats d’arrêt pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre à Gaza, émis par la Cour le 21 novembre.

Le salut, en revanche, pourrait à nouveau venir de Washington. La future administration américaine n’a pas encore annoncé ses ambitions pour Israël mais l’ambassadeur choisi par Donald Trump, Mike Huckabee, inquiète largement les Palestinien·nes. Il avait déclaré en 2017 : « Il n’y a pas de Cisjordanie. C’est la Judée et la Samarie. Il n’y a pas de colonies. Ce sont des communautés. Ce sont des quartiers. Ce sont des villes. Il n’y a pas d’occupation. »

L’opinion israélienne ne contestera pas une annexion formelle (...)

« Beaucoup pensent qu’Israël contrôle déjà la Cisjordanie, note Ziv Stahl. Les jeunes notamment ne sont pas instruits sur la question. À l’école, les cartes ne dessinent pas la “ligne verte” », qui sépare Israël des territoires palestiniens occupés. (...)