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Mediapart
« Israël aura la sécurité lorsqu’il aura respecté les droits des Palestiniens »
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza
Article mis en ligne le 24 juin 2025
dernière modification le 22 juin 2025

Dans un entretien à Mediapart, Monique Chemillier-Gendreau revient sur son ouvrage récemment paru Rendre impossible un État palestinien. L’objectif d’Israël depuis sa création (Éditions Textuel, 2025), dans lequel elle démonte de manière implacable soixante-quinze ans de faux-semblants israéliens. (...)

Elle voit dans l’impunité dont bénéficie le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou « la profonde complicité de l’Occident colonial » et appelle « à ne pas céder au découragement », à continuer à défendre le droit. « Une fois affirmé, il rentre dans les rapports de force et finit par les faire basculer, assure-t-elle. C’est ce qui s’est passé pour certaines guerres ou pour les luttes de libération nationale », au Vietnam, en Algérie ou encore au Portugal.

Quant à la sécurité d’Israël, elle passe par le respect des droits des Palestiniens, défend Monique Chemillier-Gendreau : « C’est en leur faisant comprendre cela que nous protégerons les Israéliens contre eux-mêmes. »

Mediapart : Comment expliquez-vous qu’après plus de vingt mois de guerre génocidaire à Gaza, Benyamin Nétanyahou bénéficie toujours d’une impunité au point d’attaquer l’Iran et de déstabiliser encore un peu plus la région ?

Monique Chemillier-Gendreau : Nous voyons bien avec les déclarations du président français Emmanuel Macron relatives à la guerre d’agression ouverte par Israël contre l’Iran, dépourvues de condamnation, que les pays occidentaux ne sont pas prêts à arrêter Israël. C’est la profonde complicité de l’Occident colonial qui se joue là.

Ces pays restent imbibés d’idéologie coloniale et de nostalgie de l’époque coloniale. C’est aux opinions publiques de tenter d’inverser cette tendance. Malheureusement, l’idéologie qui anime les dirigeants est partagée par une partie de ces opinions publiques. (...)

Le droit a des effets différés. Il est important qu’il soit dit car une fois affirmé, il entre dans les rapports de force et finit par les faire basculer. C’est ce qui s’est passé pour certaines guerres ou pour les luttes de libération nationale.

Les rapports de force n’étaient pas en faveur des Vietnamiens dans la guerre que leur ont menée les USA. Comme ils n’étaient pas en faveur de l’Algérie lorsque la France a décidé de s’opposer aux indépendantistes algériens par la force. Ils n’étaient pas en faveur des colonisés du Portugal lorsque ce pays s’est obstiné, par des guerres coloniales meurtrières, à empêcher l’accession à l’indépendance de ce qu’il considérait comme « ses provinces d’outre-mer ».

Et pourtant, tous ces dominés ont gagné. Ni la supériorité militaire, ni les moyens financiers, ni les alliés des États dominateurs ici cités ne leur ont permis de triompher. C’est que le droit s’était immiscé dans l’affaire. Et que chez le plus fort lui-même, la perception du droit, c’est-à-dire la conviction peu à peu intégrée que l’action menée l’était sur des bases illégales, l’a conduit à la défaite. (...)

La guerre du Vietnam a été gagnée par les Vietnamiens mais avec l’appui des intellectuels du monde entier dans le Tribunal Russell et des étudiants américains qui menaient la bataille – et à quel prix ! – dans les campus américains. Ils le faisaient avec la conviction que cette guerre était une guerre illégale.

Il en a été de même pour les guerres coloniales de la France ou du Portugal. Les rebelles sous oppression coloniale n’auraient pas gagné de la même manière si les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes et à lutter contre le colonialisme par tous les moyens n’avaient pas été proclamés aux Nations unies.

Voilà pourquoi nous ne devons pas céder au découragement et continuer à proclamer ce qui est conforme au droit et ce qui ne l’est pas. L’effet différé viendra. (...)

Nous voyons bien avec cette guerre déclarée contre l’Iran que le gouvernement d’Israël est engagé dans une spirale mortelle, enivré qu’il est par sa réelle supériorité militaire et technologique. La population israélienne est prise dans ce délire.

Cette population a été à juste titre traumatisée par les attentats du 7-Octobre. Mais elle n’avait pas les moyens de replacer ces attentats dans leur contexte car Israël, État non démocratique, est basé non seulement sur la ségrégation raciale et l’apartheid, mais aussi sur une information volontairement biaisée et historiquement fausse.

Et il y a eu aussi un choc idéologique pour cette population qui est le suivant : toute l’idéologie sioniste était basée sur deux idées fausses : celle qu’il y avait au Proche-Orient une terre disponible pour accueillir les juifs qui décidaient après deux mille ans de diaspora de se regrouper dans un territoire ; et celle selon laquelle les risques de persécution auxquels ils avaient été exposés pendant des siècles cesseraient avec leur regroupement sur une terre leur appartenant en propre et qu’ils seraient ainsi protégés. (...)

Ces deux idées ont volé en éclats. En dépit de l’accélération que la politique d’Israël donne à sa volonté de chasser les Palestiniens, de les expulser, de les parquer, ils sont toujours là et les autres pays refusent toute solution de les accueillir. Donc, non, cette terre n’est pas libre. Elle est occupée par un peuple qui y détient des droits et qui n’y renoncera pas.

Quant à l’idée qu’un coin de terre à eux protégerait les juifs contre les persécutions et massacres dont ils ont été si souvent victimes dans leur histoire, elle est aussi totalement fausse, et les massacres du 7-Octobre l’ont démontré.

En dépit de sa supériorité militaire, technologique et en renseignement, Israël a été surpris en état de faiblesse. La leçon est rude. Il faudra encore du temps pour que les Israéliens comprennent que ce n’est pas un coin de terre qui protège. (...)

Ce qui protège les humains, ce sont les droits proclamés et universellement respectés. Israël veut sa sécurité ? Qu’à cela ne tienne. Il l’aura lorsqu’il aura respecté les droits des Palestiniens. C’est en leur faisant comprendre cela que nous protégerons les Israéliens contre eux-mêmes. Ils doivent sortir de leur narcissisme et apprendre la réciprocité. C’est cette valeur qui leur manque cruellement et qui les rend aveugles. (...)

Israël s’est employé très minutieusement et systématiquement à ce qu’à aucun moment, les éléments de base d’un État ne soient rendus possibles au profit des Palestiniens. Leur territoire a été spolié par les conquêtes de 1948, puis mité par la colonisation d’abord rampante, ensuite forcenée ; leur population est interdite de se regrouper ; l’Autorité palestinienne reconnue par les accords d’Oslo est une administration sans aucun pouvoir d’État et enfin Jérusalem leur est refusée comme capitale.

Il faut noter aussi que, dans toutes les négociations, il a été admis comme allant de soi que la Palestine en devenir serait un État « démilitarisé ». Cette concession centrale à la volonté israélienne de demeurer en position de force est emblématique du fait que le dossier n’est pas traité sur la base du principe – central dans la Charte des Nations unies – de l’égalité de droit des peuples.

Pourquoi la communauté internationale s’acharne-t-elle alors à parler de quelque chose qui est rendu impossible par Israël ?

Mais tout simplement parce que cela relève du droit. Le droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes selon les principes cardinaux des Nations unies. La communauté internationale doit encore faire semblant d’être du côté du droit.

Les pays occidentaux alliés d’Israël doivent se livrer à ce faux-semblant car la grande masse des pays du Sud, issus de luttes de libération nationale, n’est pas prête à immoler ses principes. Donc on est dans la communication, on fait comme si on voulait encore la réalisation de la solution à deux États… (...)

Alors, est-ce qu’un État palestinien est encore possible ? La réponse serait oui, s’il y avait de la part des pays influents une volonté politique. Il faudrait que cette volonté politique engendre des mécanismes de sanctions dirigées de manière efficace contre Israël.

Les pays occidentaux peuvent priver Israël d’armes, ou de composants de matériel militaire. Ils peuvent rompre les relations de coopération économique. Les pays arabes peuvent utiliser l’arme du pétrole. Ces différentes mesures seraient de nature à faire plier Israël. Mais il n’y a de volonté politique ni des uns ni des autres. (...)

La solution est donc dans des sanctions coordonnées et bien ciblées contre Israël. Car, pour l’instant, les Palestiniens, dont nous devons respecter le droit à disposer d’eux-mêmes, ne se sont pas prononcés pour une autre solution, celle-ci étant celle d’un État binational. (...)