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Infiltration, harcèlement et transphobie : dans les coulisses d’un collectif hostile aux transitions des enfants
#discriminations #transgenre #transphobie #harcèlement
Article mis en ligne le 8 mai 2024
dernière modification le 5 mai 2024

Acteur clé de l’offensive actuelle contre les transitions de mineur·es, Ypomoni se présente comme un simple groupe de parole pour des parents d’enfants trans. Des documents internes consultés par Mediapart montrent combien ce discours de façade cache « une guerre » contre les droits des personnes trans et leurs soutiens.

Les coulisses d’Ypomoni n’ont en réalité rien à voir avec son discours public. Les milliers de messages que ses membres s’échangent sur une messagerie interne, et que Mediapart a pu consulter, montrent bien des parents en souffrance. Mais ils révèlent aussi une activité militante très agressive et sans véritables limites.

Sur leur Discord (messagerie instantanée) aux nombreuses rubriques (« réseaux », « relations médias », « proviseurs », « ordre médecins », « justice »…), Camille Lebreton et Suzanne, qui tiennent leur véritable identité secrète, établissent des listes d’adversaires qu’il faut cibler en priorité. Des médecins ou des enseignant·es qu’il faut attaquer, des associations ou réunions qu’il faut infiltrer, et des médias ou autorités qu’il faut interpeller. Dans ces messageries, les propos sont bien moins mesurés qu’en public, souvent transphobes, et leur stratégie beaucoup plus claire : s’opposer à la transidentité en commençant par les mineur·es trans. (...)

En réalité, le collectif avance masqué : sa focalisation sur les seul·es mineur·es est stratégique – un calcul partagé par nombre de politiques de droite et d’extrême droite, qui ont récemment décidé d’investir ce sujet. Ce n’est que la première étape d’un combat politique bien plus général. « Si nous nous attaquons aux jeunes adultes de front et pour commencer, nous ne serons pas entendables une minute », lâche Suzanne en février 2022, dans un message. « Pour gagner en audience, nous ne pouvons pas nous permettre de dire que nous voulons interdire les transitions des adultes », acquiesce Camille Lebreton.

« Je ne crois pas à la transidentité comme autre chose qu’une maladie psychiatrique. » Camille Lebreton, fondatrice d’Ypomoni

« Nous agirons médiatiquement pour les mineurs, juridiquement pour les majeurs. » (...)

Des membres conversent ainsi quotidiennement pour dénoncer ce « lobby » mondial, cette « idéologie » qui « ne s’arrête pas à la majorité », comparent le « trangenrisme » à la « pédophilie » ou regrettent de vivre sous un régime « transtotalitaire ». La souffrance des personnes trans est totalement balayée, comme sont minorées les études révélant qu’elles sont bien plus exposées au suicide que le reste de la population. (...)

Pour alimenter la panique morale actuelle, Ypomoni insiste sur deux idées : une « explosion » des transitions de mineur·es et un « boom » des détransitions, lorsque des personnes trans regrettent leur démarche et stoppent leurs traitements.

Sur son site, il prétend en avoir « rencontré » et répète à longueur d’interview qu’il s’agirait d’un phénomène d’ampleur que les « transactivistes » tenteraient de dissimuler. « Les parents déplorent une véritable médicalisation “à la demande” de leurs enfants, dès la classe de seconde », peut-on aussi lire dans le rapport de la sénatrice LR citant les témoignages du collectif.

Là encore, les documents consultés par Mediapart font voler en éclats cette communication. Pas un seul enfant mineur des 200 familles du collectif n’a entamé une transition médicale (selon leurs propres écrits) et pas un membre ne connaît une personne qui a regretté sa démarche et détransitionné. « On n’a aucune idée du nombre de détransitions », peut-on lire, en 2022, ou encore : « Perso, je n’en connais pas. » (...)

Désinformation à l’appui, l’organisation dénonce l’utilisation massive de bloqueurs de puberté (prescrits en fait à une petite minorité des mineur·es trans) ou la prescription d’hormones. La plupart des spécialistes balayent ces accusations (voir notre entretien avec des médecins des consultations spécialisées), mais le collectif persiste à prédire un « scandale sanitaire ». (...)

En attaquant tous azimuts, les parents d’Ypomoni rêveraient de voir ces médecins « jugés et punis à la hauteur de leurs crimes », cette « bande d’assassins ». Un membre propose de financer des « avocats pitbulls ».

Tout en sachant ces procédures vouées au classement, ces parents persistent dans une bataille plutôt psychologique que juridique. « Pour info, une toubib passée devant l’ordre des médecins en 2019 (et blanchie) a arrêté de bosser. Burn-out. On peut gagner à long terme même quand on perd officiellement », motive Gwenaëlle, en décembre 2023. « Même si cette proposition de loi ne passe pas cette année, les médecins auront de plus en plus peur. Ce qui est nécessaire, c’est d’attaquer massivement en justice », renchérit Camille Lebreton en avril 2024. (...)

Saisine de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), signalements auprès de la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), tout est tenté pour dénoncer ce que ces parents considèrent être une entreprise sectaire. La Miviludes a bien reçu « une dizaine de sollicitations en 2018, puis fin 2021-2022 », nous répond-elle. Mais « après analyse, [la mission] n’avait constaté aucune mise en évidence de dérives sectaires dans les situations présentées ».

Parfois, Camille Lebreton va même plus loin en demandant à ses ouailles de « diffuser » un fichier recensant des médecins jugé·es « transactivistes », auprès de journalistes ou d’élu·es. (...)

Dans cette offensive, les enfants ne sont pas épargné·es. Certains parents se réjouissent de retarder la prise d’hormones de leur fille ou de leur fils, ou de faire en sorte que leur prise en charge ne soit plus remboursée.

En janvier, Marie* évoque la transition entamée par son fils majeur, âgé de 21 ans, et liste les multiples procédures lancées : des plaintes, un courrier à l’hôpital « pour empêcher une future mammectomie », un signalement au procureur et une alerte envoyée à la Haute Autorité de santé (HAS). « J’avance masquée […] Quand elle va découvrir que je la bloque de tous les côtés, elle va être furax », écrit-elle sur le Discord.

« Nous lui avons pris les médicaments et l’ordonnance », se félicite une autre, qui tente de « gagner du temps » face à sa fille de 18 ans.

De nombreuses confidences révèlent aussi des méthodes parentales parfois brutales. (...)

La messagerie d’Ypomoni ressemble à un exutoire où l’on moque parfois les personnes trans, où l’on dénigre leur souffrance dans un espace de discussion baptisé « humour débile », et où quelques-uns publient des photos de leurs enfants « avant/après » pour dénoncer les conséquences supposées « dramatiques » d’une transition.

Des associations trans infiltrées (...)

Le collectif écrit aussi en masse à différents proviseurs, associations de parents d’élèves ou enseignant·es qui appliqueraient de manière trop docile la « circulaire Blanquer » qu’il conteste – elle permet aux élèves de changer de prénom avec l’accord des parents.

Régulièrement, Camille Lebreton incite le groupe à infiltrer les associations de l’autre camp pour collecter des informations ou des coordonnées de parents dans le doute. Grandir trans, Fransgenre, OUTrans, ou le congrès de Trans santé France sont leurs obsessions. (...)

« Nous avons été la cible d’un harcèlement sur les réseaux sociaux de la part des membres d’Ypomoni suite à un communiqué que nous avions écrit alarmant sur la présence grandissante de ce collectif en Charente et leur propagande idéologique auprès des médecins, raconte Le Transistor, une association de personnes trans et travailleur’euse’s du sexe (TDS) basée à Angoulême. On était un peu anxieux mais on les a ignorés. »

Des échanges avec l’extrême droite (...)

Qu’en est-il enfin des alliances politiques de ce collectif ? Dans ses interviews comme sur sa messagerie interne, le collectif regrette que son mouvement soit assimilé à l’extrême droite. De fait, les milliers de messages montrent des convictions politiques diverses et bon nombre de sympathisant·es venu·es de la gauche.

Pas question non plus d’être associé à SOS éducation ou à Juristes pour l’enfance, deux mouvements conservateurs et proches de l’extrême droite, tendance Manif pour tous. (...)

Le cordon n’est pourtant pas si étanche (...)

Lorsqu’en avril 2023, Camille Lebreton évoque l’idée de passer la main et liste les tâches que sa successeure devra réaliser, elle trahit quelques liens jamais assumés en public : « Gérer les actions confidentielles d’Ypomoni. Toutes celles qu’on ne diffusera jamais à 150 familles… » Lesquelles ? Des « conversations avec l’Observatoire petite Sirène » ou « SOS éducation ».