
Après plusieurs années de négociations, les eurodéputés ont voté en faveur du Pacte asile et migration, qui réforme l’accueil des demandeurs d’asile dans l’UE. L’ensemble du texte ne satisfait en revanche pas tous les partis. Et plusieurs points, dont le "filtrage" des exilés aux frontières européennes, ont été lourdement critiqués par l’extrême-droite, la gauche et de nombreuses ONG.
C’est l’issue d’un compromis complexe, entamé il y a plusieurs années. Ce mercredi 10 avril, les eurodéputés ont voté en faveur du "Pacte asile et migration", vaste réforme de la politique migratoire de l’Union européenne (UE).
Lors d’une session plénière à Bruxelles - brièvement interrompue par les protestations de militants hostiles à cette réforme - une dizaine de textes au total ont été débattus puis adoptés en fin de journée.
Le Pacte devra encore être formellement approuvé par les Etats membres ces prochains mois, puis la Commission européenne présentera d’ici juin un plan de mise en œuvre, prévu courant 2026.
Cette refonte des règles est basée sur une proposition de la Commission présentée de septembre 2020, après l’échec d’une précédente tentative de réforme dans la foulée de la crise des réfugiés de 2015. En décembre 2023, les textes du Pacte ont finalement fait l’objet d’un accord politique, et ont été approuvés en février 2024 en commission parlementaire.
(...) Objectif de l’UE avec ce nouveau traité : remédier aux failles de la politique d’asile européenne actuelle, en renforçant les contrôles aux frontières - pour décourager les entrées irrégulières et inciter à une immigration légale - et en organisant la gestion de l’asile en particulier lors de situations de crise.
Mais ses leviers d’action suscitent de nombreuses divisions au sein des parlementaires : les trois principales familles politiques européennes - PPE (droite), Socialistes et démocrates (S&D) et Renew Europe (centristes et libéraux) – y sont dans l’ensemble favorables. Alors qu’une grande partie de l’extrême droite, des Verts, de la gauche radicale et de certains socialistes y sont farouchement opposés.
Damien Carême, eurodéputé et ancien maire de Grande-Synthe, dans le nord de la France, a fustigé mercredi sur X "un pacte xénophobe"
Ce que prévoit le Pacte
"Filtrage" des migrants
Le texte avalise la création de centres aux frontières de l’UE, dans lesquels les exilés seront retenus le temps de l’examen de leur dossier. Chaque personne sera enregistrée dans la base de données commune Eurodac. (...)
les migrants devront savoir dans un délai de cinq jours ce qu’ils pourront faire : entrer sur le sol européen (pour y demander l’asile) ou retourner chez eux. (...)
Cette "procédure à la frontière" est prévue pour les migrants statistiquement les moins susceptibles d’obtenir l’asile : ils seront hébergés dans des centres le temps que leur dossier soit examiné, de façon accélérée, dans le but de renvoyer les déboutés plus rapidement.
Ce filtrage concernera également les personnes sauvées en mer, ou interpellées sur le territoire européen après avoir échappé aux contrôles aux frontières extérieures.
Cette mesure fait écho à l’externalisation des demandes d’asile en Albanie actée par l’Italie, en novembre 2023. Les travaux de constructions des futurs centres d’accueil, entièrement gérés et financés par Rome en terre albanaise, ont d’ailleurs commencé la semaine dernière. (...)
L’eurodéputée Fabienne Keller a tenu à préciser que le Parlement européen avait obtenu des garanties sur un mécanisme de surveillance des droits fondamentaux dans ces procédures à la frontière, sur les conditions d’accueil des familles avec jeunes enfants et sur l’accès des migrants à un conseil juridique. Il n’empêche que la mesure suscite l’ire de nombreuses organisations.
Dans une déclaration conjointe publiée le 10 avril qui appelle à rejeter l’ensemble du Pacte, 161 organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, Amnesty International, l’International Rescue Committee, ou encore Oxfam s’inquiètent de cette nouvelle procédure. Elles craignent des "détentions de familles avec enfants de tous âges", qui "permettront des abus dans toute l’Europe, y compris le racial profiling, la détention de facto par défaut et les refoulements". (...)
Une inquiétude partagée par France terre d’asile et Forum réfugiés, pour qui "ces règlements permettent un examen expéditif des demandes d’asile, qui fait craindre une augmentation significative des violations des droits des demandeurs", s’insurgent-elles dans un communiqué. "L’objectif d’éloignement rapide de ces personnes en cas de refus de leur demande d’asile qui prétend justifier la rétention à grande échelle est une fiction en complet décalage avec la réalité de l’éloignement en Europe, et risque seulement de conduire à des périodes d’enfermement prolongées et inutiles", ajoutent-elles.
Mécanismes de solidarité
La règle en vigueur – appelée Règlement Dublin - selon laquelle le premier pays d’entrée dans l’UE d’un migrant est responsable de sa demande d’asile est maintenue avec quelques aménagements. (...)
Les Vingt-Sept devront chaque année, dans le cadre d’une "réserve de solidarité", accueillir un certain nombre de demandeurs d’asile via des "relocalisations". S’ils refusent, l’UE prévoit de les pénaliser : en leur infligeant une amende de 20 000 euros pour chaque migrant "non relocalisé".
C’est ce point précis qui hérisse les partis d’extrême droite. (...)
Côté ONG, pour les 161 organisations signataires, ces mesures restent inefficaces malgré les pénalités financières. (...)
Gestion des "crises"
Ce règlement prévoit des mesures en cas de crise majeure, face à un afflux massif de migrants dans un État de l’UE à l’instar de la "crise" migratoire de 2015-2016 (...)
Par exemple, la mise en place d’un régime dérogatoire moins protecteur pour les demandeurs d’asile ainsi qu’un allongement possible de la durée de détention aux frontières extérieures de l’UE. Le texte permet donc de suspendre une partie des protections dont jouissent les migrants à leur arrivée en Europe. (...)
Externalisation
En plus de cette réforme, l’UE multiplie les accords avec les pays d’origine et de transit des exilés (Tunisie, Mauritanie) pour tenter de faire baisser les arrivées à ses frontières. Le but, cette fois : endiguer les arrivées de migrants dès leur départ de l’autre côté de la Méditerranée ou de l’Atlantique. (...)