
Un nouveau plan d’aide humanitaire à Gaza faisant appel à une organisation privée et à des sociétés de sécurité américaines pourrait remplacer l’action des Nations unies dans l’enclave palestinienne assiégée. Un plan rejeté par l’ONU, qui estime qu’il "instrumentalise l’aide" et menace de provoquer des déplacements massifs de Palestiniens.
Face à un risque imminent de famine à Gaza, pointé lundi 12 mai par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et le Programme alimentaire mondial (PAM), un nouveau plan d’aide humanitaire est en préparation mais il suscite la controverse. Porté par la Fondation humanitaire pour Gaza (GHF), une organisation caritative privée, ce projet entend acheminer les biens essentiels à l’enclave palestinienne assiégée en contournant les Nations unies, en fournissant l’aide "directement – et uniquement – à ceux qui en ont besoin".
Dirigée par des "opérateurs de crise chevronnés", la GHF s’appuierait alors sur des sous-traitants basés aux États-Unis, dont un dirigé par un ancien chef de la branche paramilitaire de la CIA. Son objectif est de sécuriser les "centres" d’aide qu’elle prévoit de mettre en place dans des zones de Gaza sans l’intervention de l’armée israélienne.
L’armée israélienne, qui ne serait pas stationnée dans les "hubs", serait néanmoins présente "à distance", a précisé l’ambassadeur des États-Unis en Israël, Mike Huckabee.
La population de Gaza, elle, serait contrainte de se déplacer vers le sud pour recevoir de l’aide dans une nouvelle zone délimitée par l’armée israélienne. Dimanche, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu aurait déclaré à la commission israélienne des affaires étrangères et de la défense que "les habitants de Gaza que nous expulsons ne reviendront pas. Ils ne seront pas là. Nous contrôlerons l’endroit." (...)
Mais les hauts fonctionnaires des Nations unies et du gouvernement américain, ainsi que les organisations d’aide humanitaires, sont sceptiques. Ils craignent que cette organisation caritative privée, qui a l’expérience des opérations de "crise" mais pas des missions humanitaires, ne soit pas à la hauteur de la tâche colossale consistant à fournir une aide indispensable à une population menacée par la famine.
Par ailleurs, des doutes persistent quant à l’impartialité de la GHF. "L’ONU ne peut se joindre à aucun effort qui ne respecte pas ses principes de distribution de l’aide humanitaire, notamment l’humanité, l’impartialité, l’indépendance et la neutralité", affirme à PassBlue et à France 24 Farhan Haq, porte-parole adjoint de l’ONU. (...)
"Le plan semble conçu pour renforcer le contrôle sur les produits de première nécessité en tant que moyen de pression et il entraînera de nouveaux déplacements", a quant à lui déclaré vendredi James Elder, porte-parole de l’Unicef, estimant qu’il s’agissait d’un choix "entre le déplacement et la mort". (...)
La proposition, dont France 24 et PassBlue ont pu prendre connaissance dans son intégralité, prévoit, selon les termes de Farhan Haq, un contrôle accru des livraisons de nourriture à Gaza "jusqu’à la dernière calorie et au dernier grain de farine", alors que le blocus israélien entre dans sa troisième phase. (...)
Une analyse du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) a non seulement dénoncé le plan, mais note également qu’il est "susceptible d’être rejeté par les autres parties au conflit".
L’évaluation de l’Ocha a jugé la proposition "irréalisable" pour de nombreuses raisons, notamment parce que les rations ne seraient distribuées qu’une ou deux fois par mois dans des lieux désignés. (...)
Autre élément controversé du plan : la GHF sera dirigée par au moins un ancien haut fonctionnaire de l’ONU chargé de la sécurité, qui travaillera donc pour une organisation privée elle-même rejetée par les Nations unies.
Ancien membre du département de la sûreté et de la sécurité des Nations unies, Bill A. Miller figure sur la liste du conseil consultatif, tandis que David Beasley, ancien chef du PAM, est nommé sans que sa présence n’ait pour l’heure été confirmée. Celui-ci n’a pas pu être joint pour un commentaire.
"Il s’agit d’une trahison au plus haut niveau", déclare auprès de France 24 et PassBlue une source de l’ONU qui se trouve régulièrement à Gaza, à propos de l’implication d’anciens hauts fonctionnaires de l’ONU dans une entreprise qui pourrait usurper le rôle humanitaire des Nations unies dans la bande de Gaza.
La GHF a présenté son plan à l’ONU et "nous a dit d’accepter de travailler avec eux ou de partir. Ils viennent pour prendre le contrôle, ils instrumentalisent l’aide."
Mais l’ONU semble impuissante à empêcher le plan d’éclore. (...)
"Ce mécanisme humanitaire était en grande partie l’idée du gouvernement israélien", déclare une source gouvernementale américaine, ajoutant qu’une réunion de haut niveau sur l’initiative avait été convoquée jeudi. La source poursuit en qualifiant le projet de "version moins sûre", "plus meurtrière", de la jetée flottante construite sur la côte de Gaza à l’époque de Joe Biden.
"Il s’agit d’une idée israélienne et nous ne pensons pas qu’il s’agisse de la réponse appropriée à la situation désastreuse qui règne à Gaza", poursuit cette même source.
L’envoyé américain pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, a d’ores et déjà averti le Conseil de sécurité de l’ONU – qui n’a aucun contrôle sur ces organismes, mais peut exercer une influence sur leurs décisions – que les États-Unis réduiraient le financement des agences des Nations unies qui n’accepteraient pas la proposition de la GHF. (...)
Selon une source de l’ONU à Gaza, les hommes qui tiennent le poste de contrôle du corridor de Netzarim semblent être d’âge moyen et ont des "mitraillettes qui pendent au-dessus de leur ventre à bière".
"Ils ont utilisé une société égyptienne pour se placer en amont des files d’attente, afin de filtrer les personnes et déterminer qui passe dans les scanners (dispositifs de contrôle de sécurité utilisés aux points de passage, NDLR)", ajoute cette source.
Israël a déclaré que la reconnaissance faciale serait utilisée pour contrôler les bénéficiaires de l’aide à l’intérieur de Gaza.
L’Unicef a rejeté le projet israélien d’imposer la reconnaissance faciale comme condition d’accès à l’aide, considérant qu’il s’agit d’une "violation de tous les principes humanitaires", et que celle-ci contribue à la "surveillance des bénéficiaires à des fins de renseignement". (...)
La position de l’ONU à l’égard de ce plan est claire : sa participation à la GHF signifierait "accepter un contrôle israélien accru sur l’acheminement de l’aide".
"Mettre ’humanitaire’ dans un nom ne rend pas automatiquement quelque chose compatible avec les principes de base du droit international humanitaire", déclare auprès de France 24 et PassBlue Jonathan Fowler, de l’Unrwa, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens. "Il existe un système mondial en place pour fournir de l’aide. Le projet de la GHF débrancherait le droit international humanitaire."