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Hypatie et Catherine (hacking fictionnel)
#catholicisme
Article mis en ligne le 30 novembre 2023
dernière modification le 26 novembre 2023

(...) Sainte Catherine d’Alexandrie m’intéresse, parce qu’elle est un exemple brillant de la manière dont le catholicisme a combattu les histoires qui l’embarrassaient, en recourant à la confusion, imposant ses propres fictions en remplacement d’autres histoires, comme le coucou qui a été pondu dans le nid du passereau s’assure d’être le seul à profiter de la nourriture en projetant à l’extérieur les œufs de ses parents adoptifs. Ici, il s’agissait de faire disparaître la légende d’une grande philosophe de l’antiquité, Hypatie d’Alexandrie. C’est ce que j’appelle du Hacking2 fictionnel.

Hypatie, née vers l’an 370 de notre ère, était la fille de Théon le mathématicien, directeur du premier musée d’Alexandrie, et a été la plus importante philosophe néo-platonicienne de la ville, qui était alors un des plus grands centres intellectuels du monde connu. On ne sait quasiment rien de ses travaux, qui ont brûlé avec la bibliothèque d’Alexandrie3, mais on sait qu’elle a étudié la philosophie à Athènes, qu’elle s’intéressait aux mathématiques, à l’astronomie, et à la philosophie en général. Voilà ce que disait d’elle, en 440, l’historien Socrate le scolastique, de dix ans son cadet4 :

« elle était parvenue à un tel degré de culture qu’elle surpassait sur ce point les philosophes, qu’elle prit la succession de l’école platonicienne à la suite de Plotin, et qu’elle dispensait toutes les connaissances philosophiques à qui voulait ; c’est pourquoi ceux qui, partout, voulaient faire de la philosophie, accouraient auprès d’elle. La fière franchise qu’elle avait en outre du fait de son éducation faisait qu’elle affrontait en face à face avec sang-froid même les gouvernants. Et elle n’avait pas la moindre honte à se trouver au milieu des hommes ; car du fait de sa maîtrise supérieure, c’étaient plutôt eux qui étaient saisis de honte et de crainte face à elle. »

Elle était, par ailleurs, très belle, et la légende dit qu’elle est restée vierge.
Malheureusement pour elle, l’époque était à la conquête de l’Empire romain par les chrétiens. Cent ans plus tôt, pour des raisons politiques, l’empereur Constantin avait fait du Christianisme, alors minoritaire dans l’Empire, une religion impériale. Les autres religions n’étaient pas interdites, mais dès ce moment, le nombre d’évêques n’a fait qu’augmenter et la nouvelle religion s’est imposée sans partage partout où elle était en mesure de le faire. (...)

Voilà ce qui arrive, en l’an 415 de notre ère, toujours selon Socrate le scolastique :

« Contre elle alors s’arma la jalousie ; comme en effet elle commençait à rencontrer assez souvent Oreste, cela déclencha contre elle une calomnie chez le peuple des chrétiens, selon laquelle elle était bien celle qui empêchait des relations amicales entre Oreste et l’évêque. Et donc des hommes excités, à la tête desquels se trouvait un certain Pierre le lecteur, montent un complot contre elle et guettent Hypatie qui rentrait chez elle : la jetant hors de son siège, ils la traînent à l’église qu’on appelait le Césareum, et l’ayant dépouillée de son vêtement, ils la frappèrent à coups de tessons ; l’ayant systématiquement mise en pièces, ils chargèrent ses membres jusqu’en haut du Cinarôn et les anéantirent par le feu. Ce qui ne fut pas sans porter atteinte à l’image de Cyrille d’Alexandrie et de l’Église d’Alexandrie ; car c’était tout à fait gênant, de la part de ceux qui se réclamaient du Christ que des meurtres, des bagarres et autres actes semblables soient cautionnés par le patriarche. Et cela eut lieu la quatrième année de l’épiscopat de Cyrille, la dixième année du règne d’Honorius, la sixième du règne de Théodose, au mois de mars, pendant le Carême. » (...)

Si des histoires qui veulent rendre justice à Hypatie sont courantes, la première institution à utiliser son histoire fut l’Église. Il faut dire que la fureur abominable de ces chrétiens qui se mettent en bande pour humilier, torturer, assassiner et démembrer une femme dont le seul crime est d’avoir été belle et intelligente ne fait pas spécialement honneur aux appels à la tolérance et à l’amour universel dispensés par le fondateur de leur religion. (...)

Plutôt que de calomnier Hypatie (ce qui a été un peu fait : elle a notamment été accusée de sorcellerie), l’Église l’a chassée des esprits en la remplaçant par une sainte inventée pour l’occasion, Catherine d’Alexandrie6. Censément née vers l’an 290 (mais apparue dans les textes à partir du VI ou VIIe siècle seulement), Catherine était, selon la légende dorée, issue d’une famille noble d’Alexandrie. Éduquée à la philosophie, elle était d’une intelligence rare. Une nuit, le Christ lui est apparu en songe, et elle a décidé de lui consacrer sa vie. Elle a aussi tenté de convertir l’empereur Maxence à sa foi, et celui-ci a décidé de mettre la dévote à l’épreuve, en la faisant débattre de philosophie face à cinquante savants. (...)

On voit bien le parallèle entre cette histoire et celle d’Hypatie, si ce n’est que l’intelligence du raisonnement est remplacée par la foi aveugle, et que c’est la représentante du christianisme qui est le martyr du despotisme impie et non la philosophe païenne qui est victime de l’Église. (...)