
Pour éviter une chute inéluctable, le premier ministre a annoncé qu’il renonçait à l’usage de l’article 49-3. Une première pour un gouvernement minoritaire et une manière habile de gagner quelques semaines. Les réactions perplexes des oppositions l’ont toutefois confirmé : la censure guette toujours.
(...) L’avenir dira si cela lui évitera la même fin que celle de ses deux prédécesseurs renversés par l’Assemblée nationale, mais Sébastien Lecornu a pu goûter une première victoire tactique, vendredi 3 octobre, en annonçant à la surprise générale renoncer à l’usage de l’article 49-3 de la Constitution. Voilà le Parti socialiste (PS) a minima embarrassé, réincarnation politique du lapin pris dans les phares d’une voiture. (...)
Celle du premier ministre semblait pourtant promise à la panne, sinon à la chute dans le ravin. Après avoir caressé l’espoir, comme Michel Barnier et François Bayrou avant lui, de convaincre le PS de ne pas le censurer, le chef du gouvernement a dû se rendre à l’évidence. Entre ce que demande le parti dirigé par Olivier Faure (taxe Zucman, suspension de la réforme des retraites…) et la pression que lui mettent de concert la droite Les Républicains (LR) et le patronat, le choix du camp présidentiel scellait sa propre fin.
Ces derniers temps, l’exécutif ne faisait même plus semblant de draguer le PS. (...)
À l’Assemblée nationale mercredi, la coalition gouvernementale a joint ses voix à l’extrême droite pour reprendre à la gauche la majorité qu’elle détenait au bureau de l’institution ; le lendemain, elle a privé le PS de sa seule présidence de commission, celle des affaires culturelles et de l’éducation, récupérée par le parti Les Républicains (LR).
Face à la double pression du PS, qui faisait du rendez-vous de vendredi matin celui de la « dernière chance », et de LR, dont le président, Bruno Retailleau, a menacé jeudi soir de ne plus participer au gouvernement, Sébastien Lecornu a tenté de tromper la fatalité. « J’ai décidé de renoncer à l’article 49-3 », qui consiste à engager la responsabilité du gouvernement sur un texte pour obtenir son adoption sans vote, a tenté le premier ministre. C’est une première sous la Ve République, pour un gouvernement sans majorité absolue. (...)
Pour le Parti socialiste, la manœuvre ressemble à un piège. L’abandon du 49-3 est une revendication majeure du parti de gauche, qui l’avait mise en place sous Lionel Jospin (1997-2002) et promettait d’en faire de même s’il accédait à Matignon en 2024 et en 2025. Le 10 septembre, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, avait de nouveau appelé l’exécutif à renoncer à son usage. « Ce serait là une démonstration que la méthode change », lançait l’élu de Seine-et-Marne sur France Info.
Trois semaines plus tard, les cadres du PS ont tenté d’expliquer à la sortie de Matignon que la déclaration du premier ministre ne suffirait pas à garantir leur bienveillance. « Nous n’avons pas constaté de rupture sur le fond », a déploré Boris Vallaud, tandis qu’Olivier Faure critiquait une « copie très insuffisante », voire « alarmante ». Les Écologistes, eux aussi reçus vendredi matin, ont jugé par la voix de Marine Tondelier, leur secrétaire nationale, que le premier ministre n’avait « pas l’air de savoir où il [allait] ».
Les doutes traversent aussi le gouvernement et le camp présidentiel, dont les membres ont appris la décision de Sébastien Lecornu de la même façon qu’ils avaient appris la dissolution du 9 juin 2024 ou la convocation par François Bayrou d’un vote de confiance le 25 août dernier.
Les trois annonces tracent d’ailleurs une même courbe : celle d’un second quinquennat où rien ne se passe normalement. Emmanuel Macron, qui a donné son feu vert à son premier ministre jeudi soir à l’Élysée, continue de rompre, un à un, les ressorts et les usages d’une Ve République dont il a accéléré l’essoufflement. (...)
La première leçon du bail de Sébastien Lecornu à Matignon est d’abord celle d’un échec. Même minoritaire, même au pied du mur, même lorsqu’il exhibe sa bonne volonté, le camp présidentiel ne parvient pas à trouver, sur le fond, des terrains d’entente avec un PS pourtant loin de défendre une révolution trotskiste. Le macronisme a dérivé trop loin sur les rives du néolibéralisme pour cela. La « possibilité » d’un accord de non-censure « n’a pas pu prospérer », a reconnu le premier ministre vendredi.
La perspective d’un budget LR
La suite devrait conforter la coalition au pouvoir. En l’absence de 49-3, deux scénarios concurrents semblent s’imposer pour la suite. Soit la discussion parlementaire s’enlise, le délai légal de durée maximale des débats étant dépassé (soixante-dix jours à compter du jour de dépôt, autour du 13 octobre), et le gouvernement fait passer les dispositions du budget par ordonnances. C’est une des hypothèses soulevées par Jean-Luc Mélenchon, le chef de file de La France insoumise (LFI) « soupçonn[ant] Sébastien Lecornu de se fiche[r] de nous ».
La seconde option est parlementaire : si la navette entre les deux chambres fonctionne, le Sénat, à majorité de droite, aura tout loisir de réécrire le budget à sa guise. La mouture finale se discutera ensuite en commission mixte paritaire (CMP), au sein de laquelle la coalition gouvernementale est majoritaire. (...)
Même si le parti à la rose se décide à voter la censure du (futur) gouvernement Lecornu, il n’est pas dit que la messe soit dite. Le Rassemblement national (RN) continue, de son côté, de masquer ses intentions. « Nous attendons lundi pour voir » si le premier ministre prend en compte les revendications du groupe d’extrême droite : remettre en cause la contribution française à l’Union européenne (UE), proposer de nouvelles mesures anti-immigration, baisser les impôts des classes moyennes…
La cheffe de file du RN, dont les bonnes relations avec Sébastien Lecornu sont connues, a jugé « plutôt respectueux de la Constitution » son choix de renoncer au 49-3 mais a maintenu son mantra du moment, « la rupture ou la censure ». Au vu de la composition gouvernementale qui s’apprête à être annoncée, il faudra un goût prononcé pour l’optimisme (ou la conclusion discrète d’un accord) pour y voir la moindre rupture avec les politiques menées ces dernières années.