
Quelques heures avant que la bande de Gaza ne soit coupée du monde au moment où l’armée israélienne a lancé des opérations encore plus massives et destructrices que celles qui ont déjà fait des milliers de morts parmi lesquels des centaines d’enfants, Hossam Al-Madhoun, déplacé de Gaza City dans le camp de Nuseirat avec sa famille, est parvenu à envoyer sa chronique quotidienne de sa vie sous les bombes.
Hossam Al-Madhoun, acteur et metteur en scène palestinien résidant à Gaza, tient une chronique de sa vie quotidienne sous les bombes qu’il envoie, quand la connexion le permet, au photographe Jonathan Daitch, auteur du livre Voix du théâtre en Palestine pour lequel il l’avait rencontré. Celui-ci les traduit en anglais.
Nous vous proposons ici la traduction en français du dernier texte écrit par Hossam Al-Madhoun, envoyé vendredi 27 octobre au matin.
Jeudi 26 octobre :
À minuit et demi, un voisin situé à 20 mètres de la maison de mon beau-père a reçu un appel de l’armée israélienne lui demandant d’évacuer sa maison, car ils ont l’intention de la bombarder et de la détruire. Il a jusqu’à 16 heures pour partir. (...)
Tout le monde bouge hystériquement dans toutes les directions, effrayé, silencieux. J’ai mis ma mère dans son fauteuil roulant, et mon beau-frère a mis notre belle-mère dans le sien. Abeer a terminé la cuisson du pain, elle l’a emballé et nous sommes sortis de la maison. Le père d’Abeer nous a dit de le suivre jusqu’à la maison de son ami, à 80 mètres de là. C’est une grande maison avec une cour d’entrée, un petit jardin avec quelques arbres et plantes. L’ami et sa famille nous ont accueillis à bras ouverts (...)
J’ai appelé un autre ami, et encore un autre, aucun endroit, toutes les unités d’habitation, toutes les écoles sont submergées de personnes déplacées. Après que l’armée israélienne a détruit 50 % ou plus des habitations de la bande de Gaza au cours des deux dernières semaines, entassant 2,1 millions de personnes dans un espace d’un million, à quoi puis-je m’attendre ?
Il est 16 heures, rien ne s’est passé. 16h30, rien ne s’est passé. Nous nous asseyons dans le jardin, je fume et je fume, ma capacité de réflexion est paralysée. (...)
La nuit, c’est le cauchemar ici, sous les attaques, les bombardements s’intensifient pendant la nuit.
De retour à la maison, nous avons ramené le lit de ma mère du deuxième étage, nous l’avons mis dans un coin de la pièce. Il fait maintenant nuit. Depuis hier soir, ma mère a commencé à voir des images et des personnes, des hallucinations. (...)
A 2 heures du matin, c’en était trop pour tout le monde, je l’ai portée jusqu’au deuxième étage. Peut-être que ses cris et ses hurlements n’atteindront pas les autres et qu’ils pourront dormir. Les hallucinations continuent. Il est 6h30, c’est l’aube, la lumière du jour n’est pas encore complète, et ma mère a toujours les yeux grands ouverts. Je suis en train de m’effondrer. J’oublie le risque que je lui fais courir, à elle et à moi, en étant au deuxième étage, qui est vulnérable et serait en grande partie endommagé si l’attaque annoncée contre la maison du voisin avait lieu maintenant.
7h45. Enfin, ma mère est plus calme et plus silencieuse, elle demande un petit déjeuner. Abeer vient la servir. Je m’endors au deuxième étage.
Gaza : pendant et après le blackout
27 octobre soir
Allongé sur le matelas dans l’obscurité avec seulement une légère lumière provenant d’une pauvre petite bougie. J’ai fermé les yeux, espérant m’endormir, mais cela ne marche pas. 2 jours et 2 nuits sans une seule minute de sommeil. (...)
occupant l’air et l’atmosphère, envahissant le silence pour dire que la mort arrive, le son du drone militaire, dont le seul son similaire est celui de la machine à raser électrique, multiplié par cent, remplissant l’espace de son bruit agaçant que personne ne peut ignorer, ne serait-ce que l’espace d’un instant. Toute créature vivante est obligée de l’entendre, tout le temps : les humains, les animaux, les oiseaux, les arbres, même les pierres pourraient craquer à cause de la folie que ce son provoque. Cela ne me rappelle qu’une chose : la lente mise à mort par la torture au Moyen-Âge.
Les avions militaires qui passent, F 15 - F 16 - F 32 F je ne sais quoi, coupent le ciel comme un couteau traverse un morceau de beurre, emportant la mort partout où ils passent.
Le bruit des obus d’artillerie : boum. Chaque obus produit en réalité trois sons, l’écho du son répété : boum, boum, boum, commençant fort et s’éteignant en trois temps. Le bruit des fusées, très fort, très net. Si vous l’entendez, c’est que vous êtes en vie ! Il est si rapide que si la roquette frappe, vous ne l’entendrez pas. Lorsque quelqu’un à Gaza entend une roquette, il sait immédiatement qu’elle a touché d’autres personnes, laissant derrière elle la mort et la destruction. Nous le savons tous par expérience, nous l’avons appris à nos dépens au cours de plusieurs guerres contre Gaza.
S’installer dans le noir en essayant d’ignorer les bruits de la mort et se concentrer sur les petits bruits de la vie, ce n’est pas facile, mais c’est ma façon de passer la nuit en espérant vaincre l’insomnie pendant quelques heures.
le Journal de bord d’Hossam Al-Madhoun
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