Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Fermeture du Lieu-Dit et du Saint-Sauveur : la gauche perd deux bars « irremplaçables » à Paris
#lelieudit #SaintSauveur #gauche
Article mis en ligne le 27 décembre 2024

Une page se tourne pour la gauche militante du nord-est parisien : deux de ses QG depuis vingt ans ferment leurs portes, traduisant un phénomène de gentrification et d’exclusion des lieux politiques en dehors de la capitale.

Le regard de Hossein Sadeghi se perd parfois dans le café qu’il sirote lentement, ce 12 décembre en fin de journée. Depuis plusieurs semaines, il sait que le Lieu-Dit, le bar-restaurant qu’il tient depuis plus de vingt ans, au 6 de la rue Sorbier à Ménilmontant, dans le XXe arrondissement de Paris, va fermer samedi 21 décembre. Mais il n’arrive pas à l’annoncer largement.

Chaque jour, le sexagénaire aux épais cheveux blancs réécrit le message qu’il veut envoyer aux habitué·es et le remet à plus tard. Trop difficile. Ce sera fait quelques jours après par mail : « Il m’aura fallu beaucoup de temps et de courage pour écrire ces mots que je n’arrivais pas à accepter moi-même : le Lieu-Dit va fermer », écrit-il notamment. Depuis 2004, il en a fait un repaire pour la gauche intellectuelle et militante du nord-est parisien. Un point de ralliement évident, entre le bar et l’université populaire.

Trois fois par semaine en moyenne, le Lieu-Dit accueille des événements politiques qui mettent à l’honneur la pensée critique. (...)

Les espaces de débats politiques engagés se raréfiant, et les libertés académiques et associatives étant de plus en plus restreintes à l’université, le 6 rue Sorbier était devenu un rendez-vous d’autant plus important à Paris. Sa fin subite, pour des raisons de déficit structurel et de dettes accumulées, va laisser un vide. Tout comme celle du Saint-Sauveur, un bar antifa emblématique du même quartier, qui fermera définitivement ses portes le 4 janvier après le décès de son fondateur, Julien Terzics. Le militant antifasciste, par ailleurs leader du groupe de punk rock Brigada Flores Magon, est mort d’un cancer le 1er juillet 2024 à 55 ans. (...)

En 2016, alors que le bar-restaurant traversait déjà une situation financière critique, le fondateur des éditions La Fabrique, Éric Hazan, et l’économiste Frédéric Lordon avaient lancé un appel pour lui venir en aide. Les dons avaient permis de souffler un peu. Mais les mêmes causes ont fini par produire les mêmes effets : le bail du Lieu-Dit est aujourd’hui résilié, avec une cession du fonds de commerce à la clé. « La réalité est bien plus grave qu’en 2016. Ce sont des sommes importantes, pour ne pas dire colossales. J’ai mis du temps à m’y résoudre, mais il faut le reconnaître : c’était structurellement déficitaire », explique Hossein Sadeghi. (...)

« N’ayant pas trouvé de solution, je tourne la page. Mais je ne compte pas rester inactif. Je vais prendre quelques semaines de break et réfléchir à réinventer autre chose, donner une continuité à cet engagement », poursuit-il. On ne se refait pas. Avant d’arriver à Paris il y a quarante-cinq ans, Hossein Sadeghi a grandi à Ispahan, en Iran, où il a participé au renversement du chah. Arrivé avec un visa étudiant en 1979 à l’université Paris-Descartes, où il étudiait la sociologie, il s’est mis dans l’opposition à la tyrannie des mollahs : « J’ai pris position de façon très visible et à des niveaux assez importants, j’ai donc demandé l’asile politique dans les années 1980 », relate-t-il. Il n’est pas retourné en Iran depuis. (...)

En 2025, le Lieu-Dit et le Saint-Sauveur vont s’effacer. Mais leurs animateurs croient en la persistance de leur mémoire vive. « Ça pose un défi, il faudra recréer des espaces de sociabilité pour notre camp social. Mais l’identité de Ménilmontant comme quartier de gauche ne va pas se résorber pour autant », affirme Geko. L’esprit des lieux restera.