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Faire face à la guerre permanente
#guerres
Article mis en ligne le 26 janvier 2024
dernière modification le 24 janvier 2024

Début 2024, le monde se trouve à une conjoncture inédite de l’histoire. Une guerre mondiale est en cours, mais elle ne ressemble pas aux précédentes. Elle ne dit pas son nom et pourrait même ne pas être perçue comme une guerre mondiale. Elle n’est pas officiellement déclarée, et n’a donné lieu ni à une mobilisation générale ni à des batailles rangées de grande envergure. Elle n’a ni date de déclenchement ni perspective de conclusion. C’est une guerre mondiale de longue durée, permanente et de type nouveau que les peuples du monde, les mouvements populaires et les courants progressistes doivent comprendre, afin de la contrecarrer et de ne pas en faire les frais.

Essayons d’abord de mettre en lumière les caractéristiques de la situation actuelle pour identifier les éléments de nouveauté, leurs causes et leurs effets. Nous procéderons ensuite à un examen de moyens appropriés pour conjurer les périls vers lesquels la spirale belliqueuse mène le monde.

L’hégémonie étatsunienne à la croisée des chemins

L’impérialisme fonctionne à plein régime. Un pays, à notre époque, tente de s’imposer à tous les autres. Puissance dominante des dernières décennies, les États-Unis aspirent à un impérialisme planétaire, englobant le monde entier sous leur égide, le tout recouvert du vocable « mondialisation ». Nous l’écrivions déjà. Ils veulent instaurer un « monde gouverné par des règles », c’est-à-dire un monde dans lequel leur volonté a valeur de loi, le capitalisme est roi, l’anglais est la lingua franca, le néo-libéralisme est la norme, le dollar US est la monnaie de référence et les ressources naturelles de tous sont à la disposition du capital mondialisé, en premier lieu le leur.

C’est aussi un monde dans lequel les États-Unis agissent comme policiers avec leurs 800 bases militaires et un budget consacré au complexe militaro-industriel atteignant les 900 milliards de dollars par année. C’est un monde dans lequel les pays qui ne se conforment pas aux « règles » étatsuniennes font l’objet de « sanctions » et dans lequel l’intervention militaire est la poursuite de la guerre économique par d’autres moyens. C’est un monde dans lequel les interventions militaires, les coups d’États et les appuis financiers sont autorisés, lorsque les intérêts hégémoniques des États-Unis sont mis en cause.

Toute revendication de souveraineté doit être réprimée par l’intervention militaire et/ou les « révolutions colorées » (...)

Dernièrement, sous l’effet de la pandémie et de la guerre en Ukraine, les États-Unis ont compris qu’il est risqué de devoir importer massivement. Mais réindustrialiser n’est pas rentable pour les entreprises US qui ont délocalisé. C’est pourquoi le gouvernement américain force l’industrie allemande à migrer vers les États-Unis en la privant de gaz russe.

L’ultime garant de ce système est la force militaire projetée par des bombardiers, des missiles, des porte-avions, des alliances, des supplétifs locaux et des bases disséminées à travers le monde. Tel est le système mis en place au début des années 1980. Se résumant à un transfert forcé des richesses mondiales vers les États-Unis, il représente le summum de l’impérialisme dans sa forme actualisée et adaptée à la configuration du capitalisme contemporain. (...)

Or, l’éternité s’est avérée plus courte que ne l’avaient anticipé les chantres de la « fin de l’histoire ». La mondialisation financiarisée révèle au grand jour ses tares intrinsèques durant la grave crise économique de 2008, qui passe près de faire basculer le monde dans une dépression calamiteuse. La pérennité de ce système, caractérisé par le décloisonnement des institutions financières, la dérèglementation de la finance et par une oligarchie apatride, n’est plus assurée ; ses partisans sont sur la défensive. Sur un autre plan, l’« ordre » international qui soumet l’humanité au bon vouloir des États-Unis vacille. Son installation était due à la sidération qui a suivi la fin du système soviétique et le démembrement de l’URSS. Dans le désarroi, autant les pays de l’Est que ceux de l’Ouest, ceux du Nord comme ceux du Sud, se rangent en position subalterne derrière les États-Unis.

Ce moment passé, ils reprennent leurs esprits, se relèvent et envisagent de recouvrer leur indépendance perdue. C’est le cas, en particulier, de la Russie et de la Chine, mais de la plus grande partie du Sud aussi. (...)

. Il y a une triple remise en question de l’impérialisme étatsunien : d’abord ses fondements sont fragilisés sur le plan économique, ensuite l’organisation internationale qui le soutient est contestée sur le plan politique. Enfin, son emprise idéologique, carburant au « choc des civilisations », se desserre. (...)

Une nouvelle phase s’ouvre en 2011 avec le « pivot vers l’Asie » d’Obama. L’affaiblissement de l’hégémonie étatsunienne et le renforcement de la Chine conduit à une transition passant des guerres coloniales à l’affrontement direct entre grandes puissances. Les cibles premières des États-Unis deviennent ouvertement la Chine et la Russie. (...)

Aux États-Unis, les factions dirigeantes se déchirent sur les priorités : abattre la Russie d’abord pour les néoconservateurs associés aux Démocrates, laisser la Russie à plus tard et s’en prendre en premier lieu à la Chine pour les Trumpiens. Les plus bellicistes croient pouvoir provoquer tout le monde en même temps. Le débat porte sur l’orientation de l’impérialisme étatsunien. La lutte au sommet est féroce et sans précédent depuis 2015 ; elle continuera de plus belle, quel que soit le résultat de la présidentielle de 2024, car les États-Unis ne peuvent maintenir leur prépondérance, de plus en plus rejetée, que par la force.

Un troisième front imprévu

Les dirigeants américains ont été cependant aussi contraints de se tourner encore une fois vers le Moyen-Orient. Ils n’y ont certes plus les mêmes intérêts qu’avant. Cette région n’est plus une source essentielle d’approvisionnement en pétrole, car les États-Unis sont de plus en plus autosuffisants. Si la région demeure toutefois importante à leurs yeux et qu’Israël est leur tête de pont pour imposer leur contrôle régional c’est, dans la conjoncture actuelle, pour contrer le phénomène de la dédollarisation. Le rôle joué par le pétrole saoudien comme garant du pétrodollar, et donc du dollar US comme devise de réserve mondiale de facto, n’est plus assuré. Or, la domination financière des États-Unis dépend fondamentalement du maintien du dollar américain comme devise de réserve internationale.

Le refus de Mohammed Bin Salman de baisser les prix du baril de pétrole[2] à l’intention de l’Europe, en remplacement du pétrole russe, fut un premier camouflet porté au visage d’un Biden s’étant pourtant rendu sur place. Malheureusement pour les États-Unis, le pétrole saoudien acheté par la Chine se paie maintenant en yuan et l’Arabie saoudite, susceptible de devenir sous peu un nouveau membre du BRICS, vient de normaliser ses relations avec l’Iran, ennemi juré de Washington et compétiteur dans la production de pétrole. (...)

L’opération surprise du 7 octobre 2023 et, plus généralement, la reprise des combats au Proche-Orient, non anticipée et non souhaitée par Washington, est venue empirer les choses. Elle est révélatrice des enjeux et symptomatique du vacillement de l’empire américain. On assiste à la fois à la remise en question de l’oppression exercée par Israël sur le peuple palestinien et à l’exacerbation d’une politique de chèque en blanc adoptée par les États-Unis qui conduit Israël à poser des gestes génocidaires à Gaza. Netanyahu a vu dans l’attaque du 7 octobre l’occasion rêvée de raser Gaza et de reprendre la colonisation de ce territoire. (...)

L’État israélien se mérite durablement la réputation internationale d’État génocidaire en même temps qu’il ternit tout aussi durablement à l’échelle mondiale celle de ses alliés occidentaux qui le cautionnent et lui accordent l’impunité.

Une troisième guerre mondiale de type nouveau

Les conditions sont réunies pour une guerre mondiale mais elle ne ressemble pas à celles de 1914 et 1939. La situation actuelle comporte de notables différences. La plus évidente est l’apparition depuis 1945 des armes nucléaires et la constitution d’énormes arsenaux détenus par la Russie et par les États-Unis (90% du total mondial). Chacun dispose d’assez de mégatonnes pour vitrifier l’autre plusieurs fois et une bonne partie du monde aussi. La destruction des deux est garantie, peu importe lequel déclenche l’apocalypse. Il est compris que la déclaration de la guerre frontale et totale, comme en 1914 et 1939, ne peut être que la dernière des dernières options. On remarquera avec quel soin les États-Unis et l’OTAN, bien que massivement engagés aux côtés de Kiev, essaient de garder « profil bas » et de limiter les atteintes directes à la Russie (...)

Les armes nucléaires ainsi que l’importance politique d’éviter des morts étatsuniens font en sorte que la guerre par procuration est devenue la forme la plus prisée par les États-Unis pour entreprendre des conflits. En témoignent les guerres en Syrie, au Yémen et en Ukraine. De fait, les mobilisations d’armées régulières et les déclarations formelles de guerre, avec un début et une fin déterminés, sont devenues choses du passé. Le monde n’est pas pacifié pour autant. La guerre est maintenant permanente, 24/7/365, de « basse intensité », de toutes natures (« hybride »), faite de subversion, de sabotage, de putschs (« révolutions ») et de mises en scène, par des forces spéciales, des clients locaux et des suppôts infiltrés. Les guerres ne se terminent plus par des traités et des retours à la paix ; elles perdurent, pourrissent et continuent à être entretenues de l’extérieur, comme en Irak, en Afghanistan, en Syrie, en Libye. (...)

Déstabilisation, désordre, pseudo-révolutions, renversements de régimes, effondrements depuis l’intérieur, etc. demeurent les méthodes privilégiées. On peut penser que les responsables s’efforceront (pour leur propre survie) à s’en tenir aux guerres « hybrides » par procuration. Mais, au fur et à mesure qu’elles s’approchent de la Russie et de la Chine, ces guerres peuvent déraper et muter en guerres directes porteuses de dangers nucléaires. Que feront les États-Unis suite à leur défaite contre la Russie en Ukraine ? Que ferait la Russie si elle venait à être réellement menacée par les États-Unis, l’OTAN ou Kiev ? Jouer avec les allumettes des guerres limitées à la porte de grandes puissances est assimilable à la pyromanie. La guerre mondiale de type nouveau, en cours actuellement, peut dégénérer en guerre mondiale de type ancien… et être la dernière.

Que faire contre la guerre mondiale ?

Il convient avant tout de comprendre les mécanismes et les ressorts de la guerre « hybride » par procuration. C’est une guerre qui doit être camouflée par un bombardement de propagande à l’effet que c’est une lutte « populaire » contre des tyrans haïssables, que les États-Unis n’y sont pour rien, qu’ils doivent même voler au secours des « contestataires » et des « rebelles ». Selon eux, il ne s’agirait pas de motivations géopolitiques (destruction et mise sous tutelle d’un pays récalcitrant) ou d’imposition de l’impérialisme étasunien, mais de la promotion des « valeurs » occidentales, du missionnariat pour la démocratie et d’une défense des droits humains bafoués. Le rôle des supplétifs instrumentalisés en vue de réaliser la tâche pour le compte de l’hégémon doit être soigneusement camouflé (...)

Sous les dehors de fournisseurs d’une information crédible, les médias mainstream jouent un rôle capital comme diffuseurs de la ligne gouvernementale officielle, vecteurs d’une pensée unique et diffamateurs de toute critique (« complotiste », « conspirationniste », « haineuse », adoratrice d’un pays honni, à la solde d’un dirigeant étranger diabolisé). Le conflit en Ukraine porte le système à son paroxysme en cherchant à bannir tout propos s’écartant de la doxa et en y ajoutant un maccarthysme délirant et une chasse aux sorcières pour disqualifier et réduire toute critique au silence. L’hystérie collective est dûment actionnée. C’est exactement ce qui se passe en temps de guerre et cela fournit un indice que la guerre mondiale est engagée. L’embrigadement des médias, des instituts, des centres de recherche et des « experts », le monolithisme de la pensée et l’intoxication du public sont monnaie courante pendant une guerre.

On peut s’attendre à ce que les guerres continuent à être « hybrides » et par procuration, le plus longtemps possible, tant que de la chair à canon sera disponible. (...)

Toute guerre s’entoure de mensonges et d’impostures, et les guerres « hybrides » et par procuration en ont besoin plus que les autres. L’opposition à la guerre doit parvenir à abattre la muraille de propagande érigée par les commanditaires de ces guerres. Elle doit dégonfler l’intox et l’endoctrinement. Elle doit réagir le plus vite possible avant que le poison de la désinformation ne fasse son œuvre et devienne indélogeable. Les véritables raisons de ces guerres sont inavouables ; elles ne supportent pas la lumière du jour. Réussir à dissiper le fatras de la propagande pour exposer leurs tenants et leurs aboutissants est un pas majeur dans l’effort de les stopper, peut-être de rendre plus difficile leur lancement.

Refuser le faux « choc des civilisations » (...)

Conclusion

L’oligarchie apatride joue ses cartes en se servant du « choc des civilisations » comme d’un écran de fumée idéologique ayant un effet soporifique sur des populations qu’elle souhaite apathiques et facilement manipulables. Pour désamorcer la crise traversant un Occident se drapant dans les vertus démocratiques, individualistes et chrétiennes, il faut trouver inspiration chez Antonio Gramsci et combattre cette hégémonie culturelle. En l’occurrence, il faut admettre plusieurs sortes de démocraties (formelle et matérielle), plusieurs sortes de droits fondamentaux (individuels et collectifs) et plusieurs rapports à la religion : à savoir plusieurs postures (athée, agnostique, croyant), plusieurs sortes de religion (chrétienne, musulmane, judaïque, animiste, bouddhiste, hindoue, etc.) et plusieurs façons de vivre la religion (en privé, en association et en communauté). En déployant la réflexion sur ces divers enjeux, on pourra conjurer la thèse fausse du « choc des civilisations » et désamorcer au sein de la population les appuis que l’Occident cherche à renforcer, et ce, pour mener à bon port des objectifs géopolitiques visant étancher la soif étatsunienne d’une domination sur le monde.

Dans ces conditions, il semblerait indiqué de réunir les moyens d’agir sur le plan vital de l’information (...)