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Mediapart
Face à l’impérialisme de Poutine, l’aveuglement du « campisme »
#guerreenUkraine #campisme #internationalisme
Article mis en ligne le 1er septembre 2025
dernière modification le 29 août 2025

Ce 24 août, alors que son peuple résiste depuis 2014 à la guerre imposée par l’impérialisme grand-russe de Poutine, l’Ukraine célèbre sa déclaration d’indépendance de 1991. Toutes les gauches devraient soutenir sa cause car elle est celle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Il n’est pires aveugles que celles et ceux qui ne veulent pas voir – par idéologie, suivisme ou conformisme. L’hydre impérialiste à deux têtes que forme désormais le duo oligarchique Trump-Poutine parle clair, ne cachant rien de ses intentions. Il suffit de les écouter, ou d’écouter leurs porte-parole.

Une guerre sans fin : samedi 16 août, au lendemain de leur sommet en Alaska, le premier cercle du président russe mettait les points sur les i. Premier adjoint d’Anton Vaïno, le chef de l’administration présidentielle russe, Sergueï Kirienko, de retour d’Anchorage, est intervenu à un « Festival des nouveaux médias » réunissant les relais de communication du régime. Évoquant une éventuelle suspension de « la guerre chaude » sur le front ukrainien, il y a martelé que « la guerre informationnelle ne se terminera jamais ». (...)

Une « guerre » sur le front intérieur autant qu’extérieur : pas plus qu’il n’y en a pour le droit de manifestation, de réunion ou de protestation, d’opposition ou de dissidence, il n’y aucun espace pour un journalisme libre dans la Russie de Poutine. Une guerre, donc, contre la liberté des peuples de choisir leur destin, de rompre leurs chaînes, d’échapper à leurs oppresseurs. Une guerre contre la liberté du peuple russe en même temps que contre celle du peuple ukrainien. (...)

Commencée il y a onze ans, en 2014, la guerre de Poutine contre l’Ukraine, son droit à l’autodétermination et le libre arbitre de son peuple, n’est pas circonstancielle mais existentielle. Elle est théorisée par l’ancien agent du KGB et son clan oligarchique, qui s’est constitué dans la violente prédation mafieuse des décombres de l’URSS, comme un projet messianique de reconstitution d’une Grande Russie qui serait le nouvel empire de la tradition, rendu à ses racines identitaires chrétiennes et débarrassé de ses supposées décadences démocratiques. Mais cet habillage idéologique sert à masquer combien la guerre est le dernier moyen dont dispose le système criminel construit avec et autour de Poutine pour sécuriser son avenir (...)

Impérialiste et fasciste, cette Russie poutinienne est le laboratoire des renaissances d’extrême droite qui, aujourd’hui, entendent prendre leur revanche contre le camp de l’égalité des droits et de l’émancipation des peuples. (...)

Mue par l’avidité capitaliste et le suprémacisme identitaire, elle parle le même langage que Trump, Nétanyahou, Orbán et tous leurs semblables, unis dans leur rejet de l’universalité des droits fondamentaux et leur défense d’un (dés)ordre mondial fondé sur la loi du plus fort.

Dès lors, le soutien des gauches au peuple ukrainien contre l’impérialisme russe devrait être une évidence, au même titre que le soutien au peuple palestinien contre le colonialisme israélien. Les principes ne se divisent pas : être résolument du côté des peuples, c’est refuser tout double standard. De même que les puissances européennes ont ruiné, par leur soutien aveugle à Nétanyahou, le droit international qu’elles invoquent contre Poutine (lire notre mise en garde), toute solidarité avec Gaza qui fait l’impasse sur l’agression russe en Ukraine, la ménage ou s’en accommode, ruine l’universalité qu’elle revendique. C’est toute la différence entre l’internationalisme, qui a pour seule boussole le sort des peuples, quels qu’ils soient, et le campisme, qui accepte qu’ils soient pris en otage dans le jeu des puissances étatiques.

La cause de l’émancipation n’a pas de frontières, et c’est pourquoi L’Internationale fut son premier chant de ralliement. (...)

Du massacre génocidaire de Srebrenica aux crimes incommensurables de la dictature des Assad, nul ne saurait ignorer, aujourd’hui, les désastres qui ont accompagné ces alignements aveugles, dont les principes politiques se révélaient à géométrie variable. Si elles ne veulent pas affronter le même discrédit, les gauches qui se mobilisent pour la Palestine mais qui oublient l’Ukraine feraient bien de se ressaisir. De fait, on ne peut que rester pantois, entre étonnement et sidération, devant l’entêtement du chef de la principale force de gauche française à s’inscrire dans ce campisme désastreux, alors même qu’il a été formé idéologiquement dans un héritage trotskyste qui devrait l’en prémunir. De la Syrie à l’Ukraine, en passant par la Russie et la Chine, sur les questions internationales, Jean-Luc Mélenchon en effet n’a cessé, ces dernières années, de déserter une solidarité internationaliste sans frontières pour ne raisonner qu’en termes de puissances étatiques dont une seule, les USA, serait dangereuse, et ainsi oublier les peuples, leurs aspirations et leurs révoltes.

Au point d’affirmer des énormités, de multiplier les erreurs factuelles et de manifester de grandes ignorances (...)

Jusqu’à paradoxalement mépriser des surgissements populaires, tel celui du peuple ukrainien depuis les aspirations démocratiques de la Révolution orange en 2004, alors même qu’il les appelle de ses vœux en France (...)

« Vous plaisantez ? Il n’est président de rien. Depuis mai dernier, son mandat est arrivé à terme » : sa diatribe contre Volodymyr Zelensky en fut le symbole le plus manifeste. Le procès en illégitimité du président ukrainien est en effet au cœur de l’argumentaire du Kremlin, réitéré par le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, notamment pour refuser la signature de tout accord de paix. Or ce procès n’a pas de fondement, ni juridique ni politique. Selon la Constitution ukrainienne, la loi martiale – prolongée seize fois par le Parlement depuis le début du conflit – interdit toute élection, aussi bien présidentielle que législatives.

De fait, les ravages de la guerre, les territoires occupés, les dix millions de déplacés, dont nombre d’exilés, empêchent l’organisation d’un scrutin sincère et transparent. Les organisations de la société civile approuvent ce report (...)

Entonné par Jean-Luc Mélenchon et ses réseaux sociaux, ce procès en illégitimité démocratique envers le président ukrainien contraste avec leur silence sur l’absence de vie démocratique en Russie, où le jeu électoral est une farce tant il est totalement contrôlé par le pouvoir. (...)

Enfin, cet argumentaire fantaisiste sur l’Ukraine, tant il méprise la réelle et pluraliste mobilisation de sa société civile contre l’agression russe (lire ce témoignage sur la mort au combat d’un militant révolutionnaire anarchiste), est d’autant plus surprenant qu’il est infidèle aux engagements pris par LFI dans l’accord programmatique de juillet 2024 qui sert de socle à l’alliance du Nouveau Front Populaire (NFP). Il y est dit, explicitement, qu’il faut « défendre l’Ukraine », « faire échec à la guerre d’agression de Vladimir Poutine », exiger qu’il « réponde de ses crimes devant la justice internationale », « défendre indéfectiblement la souveraineté et la liberté du peuple ukrainien ainsi que l’intégrité de ses frontières », notamment « par la livraison d’armes nécessaires »…

Bref, le campisme aveugle parce qu’il est prisonnier du jeu des États, ignorant du vécu des sociétés et des peuples, indifférent à leurs aspirations et à leurs autodéterminations. À l’inverse, l’internationalisme choisit résolument la cause de ces derniers (lire ce texte de Pierre Dardot et Christian Laval sur la faillite d’un « anti-impérialisme à sens unique »). Dans ce nouveau monde désorienté où un capitalisme du désastre enfante une nouvelle Sainte-Alliance oligarchique, c’est la seule boussole qui permet de se repérer pour maintenir le cap des idéaux émancipateurs, aussi bien contre Donald Trump que contre Vladimir Poutine. Car, tel Janus, l’Empire a désormais un double visage et tout anti-impérialisme conséquent suppose d’en affronter indistinctement les deux incarnations.

Depuis peu, cette boussole a son « manifeste internationaliste », fruit de discussions entre exilés des cinq continents, réunis autour d’un lieu né des défaites surmontées, La Cantine syrienne, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Sa lecture est vivement recommandée à toutes celles et tous ceux qui refusent toute indifférence coupable, notamment face au crime de génocide en cours à Gaza. Paru en mars dernier chez Zones/La Découverte, il enterre avec énergie ce campisme nourri par « ces approches géopolitiques et surplombantes, tout droit sorties d’un mauvais remake de la guerre froide, le socialisme en moins ».

« Dans cette perspective, écrit ce collectif, le monde se résume à un affrontement de blocs où les États et leurs coalitions sont les seuls agents capables de faire bouger les lignes. […] Ce type de logique binaire a amené une partie de la “gauche anti-impérialiste” à soutenir implicitement ou explicitement les régimes iranien, russe et syrien considérés comme des “remparts” contre l’impérialisme sioniste-colonialiste-occidental-capitaliste. […] À leurs yeux, la résistance populaire en Ukraine tout comme les féministes en Iran ou les révolutionnaires en Syrie sont soit des “agents de l’impérialisme”, soit des personnes incapables de comprendre leur propre situation. […] Considérer les pays occidentaux comme les seules puissances impérialistes, et les États-Unis comme LA source de tous les maux, biais caractéristique de ces positions “campistes”, les amène à relativiser les crimes des régimes syrien, russe, chinois ou iranien. » (...)

« Seuls les peuples sauvent les peuples », conclut ce manifeste internationaliste (en accès libre dans quatre langues sur - le site de Les Peuples Veulent)(...)

Révolutions de notre temps - Manifeste internationaliste

Le texte Révolutions de notre temps - Manifeste internationaliste rassemble les enseignements et les analyses que nous avons tirés des deux dernières décennies de lutte et de nos échanges lors des quatre précédents rencontres que nous avons organisés. Il déplie notre vision d’un internationalisme révolutionnaire pour le 21ème siècle. Y sont abordés les réussites comme les problèmes, les questions rencontrées par les insurgé.es dans de nombreux contextes différents, ainsi que les premières pistes pour nous renforcer mutuellement dans les échéances à venir. Nous y développons notre compréhension commune de la situation présente et nos premières hypothèses de travail.

Le texte est disponible en anglais, français, arabe et espagnol. (à télécharger en .pdf)