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Le Monde
Extraits des « Cellules buissonnières », le livre qui explore l’ADN humain : « Le microchimérisme brouille les frontières du temps et de la mort »
#ADN
Article mis en ligne le 25 septembre 2023
dernière modification le 24 septembre 2023

Les mille milliards de nos cellules humaines ne proviennent pas toutes de notre noyau originel. Certaines d’entre elles cachent un ADN différent, provenant de nos aïeux et même de nos enfants… Dans son livre, la journaliste scientifique Lise Barnéoud raconte comment le microchimérisme vient bousculer les limites de l’individu. Extraits.

(...) Au tournant du millénaire, des scientifiques portaient déjà un premier coup de canif à cette conception égotique de nos identités en nous apprenant que ce « je », que l’on espérait pur et unique, était en réalité un « nous », dont la moitié des constituants ne nous appartenaient pas. Entrelacées à nos cellules humaines vivent un nombre équivalent de cellules microbiennes sans lesquelles nous ne pourrions survivre. Des bactéries, des virus, des champignons, des levures… autant de micro-organismes imbriqués dans nos tissus et qui influencent non seulement notre métabolisme, notre immunité, mais aussi nos humeurs, nos comportements…

(...) Les mille milliards de cellules humaines qui nous composent en tant qu’adultes ne proviennent pas toutes de notre noyau originel. Semblables à des étoiles venues d’ailleurs, certaines d’entre elles portent d’autres signatures chimiques que les nôtres, elles cachent un ADN différent. Et pour cause : elles proviennent d’autres êtres humains… (...)

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 ( Actualitté)
Les cellules buissonnières. Comment le microchimérisme bouleverse la science

Une enquête au long cours sur une découverte scientifique révolutionnaire, qui bouleverse notre conception de l’identité Microchimérisme : (...)

Nous croyions en effet savoir que nos cellules étaient composées de notre ADN, sceau unique de notre identité. Nous sommes en train de comprendre que ce " je " est lui aussi trompeur : dans nos corps se développent les cellules d’autrui. C’est dans l’obscurité de l’utérus que le phénomène commence : un ballet de cellules qui ne se joue seulement entre la mère et son foetus mais s’étend sur plusieurs générations, concerne toute la fratrie, convoque les jumeaux évanescents, ces embryons fécondés en même temps que nous mais qui disparaissent si rapidement que souvent personne ne s’en rend compte. Parfois, cette étrange chorégraphie introduit d’autres " soi ", via les greffes par exemple. Durant ce spectacle invisible, les autres deviennent nôtres, le passé s’insinue dans le futur, le futur remonte dans le passé. (...)

 (Mediapart)
Les autres en nous

Un champ de recherche encore méconnu est en train de bouleverser nos connaissances en biologie : le microchimérisme, c’est-à-dire la présence, en chacun de nous, de cellules en provenance d’autres individus. (...)

« Nous sommes tous des êtres chimériques », dit Nathalie Lambert, directrice de recherche à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), l’une des spécialistes françaises du domaine. (...)

Selon certaines données, 10 à 30 % des grossesses démarreraient en réalité avec plusieurs embryons. Or, à peine 1,5 % d’entre elles se solde réellement par des naissances gémellaires. Ainsi, bon nombre d’entre nous avons démarré notre vie utérine avec un jumeau, ne serait-ce que quelques jours. Un jumeau qui a pu nous léguer quelques-unes de ses cellules, qui constituent aujourd’hui tout ou partie d’un de nos organes.
Le chimérisme fait mentir l’ADN

La plupart du temps, la présence de ces cellules est invisible. Parfois, lorsqu’elles se trouvent dans certaines zones de la peau ou dans l’iris, elles peuvent entraîner des taches de couleurs différentes. Plus gênant : ces cellules peuvent aussi se retrouver au sein des organes génitaux et entraîner des développements anormaux dès lors qu’elles portent des chromosomes du sexe opposé. (...)

Échanges transplacentaires

À ce chimérisme d’origine gémellaire s’ajoute un autre, plus discret mais qui touche chacun·e d’entre nous : les échanges cellulaires transplacentaires. (...)

La somme de ce que nous sommes

Plus renversant encore : « Nous avons trouvé des cellules de grands-mères dans le sang de cordon de nouveau-nés », retrace Nathalie Lambert. Et d’autres travaux révèlent également l’existence de cellules en provenance de nos aîné·es (chez la souris, mais aussi chez l’humain). Pour les chercheurs, l’explication est la suivante : puisque nos mères possèdent des cellules de leur mère ainsi que des embryons qu’elles ont hébergés, toutes ces cellules sont susceptibles de (re)traverser le placenta et de s’installer dans nos organes en développement.

On parle ici de microchimérisme, car ces cellules sont rares (environ une pour cent mille en moyenne). « Il existe probablement d’autres sources de microchimérisme qu’on ne connaît pas encore », indique Lee Nelson, qui a passé toute sa carrière à traquer et comprendre ce phénomène, au sein de l’Institut Fred-Hutchinson, à Seattle. (...)

ces cellules chimériques ne restent pas oisives dans nos organismes. Elles prennent part aux activités physiologiques de l’organe où elles s’installent. Elles deviennent des cellules fonctionnelles de la peau, des poumons, du foie ou encore du cœur (...)

« Nous avons compris qu’une cellule microchimérique est capable du pire comme du meilleur, c’est une histoire d’équilibre », résume Nathalie Lambert, qui cherche aujourd’hui à comprendre ce qui peut faire basculer ces cellules du côté obscur. Bien qu’il reste encore de nombreuses inconnues, on découvre aujourd’hui qu’en fonction de la quantité de ces cellules, du timing de leur acquisition, ou encore du type de tissu dans lequel elles s’installent, les conséquences peuvent être très différentes. (...)

« Les cellules microchimériques rejoignent leurs compagnons bactériens pour nous faire comprendre que nous ne sommes pas ce que nous pensions être », résume l’historienne des sciences Aryn Martin, de la York University (Canada). Je est un nous.