
Les décrets signés par Trump et les actions de Musk mettent en danger la recherche et l’accès du public aux données. Différentes formes de résistance émergent face aux coupes budgétaires, aux licenciements massifs et à la disparition d’informations.
Ces décisions successives, prises à un rythme effréné, peuvent avoir un effet paralysant. Pourtant, face aux attaques multiples portées à la fonction publique américaine, des formes de résistance s’organisent au pied levé.
Une liste de mots circule depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux. « Égalité », « noirs et latinos », « discrimination », « genre », « femme », « communautés indigènes »… Cette centaine de termes issue des champs lexicaux de l’inclusivité, de la diversité culturelle et de la lutte contre les violences systémiques provient d’un document interne de la Fondation nationale pour la science (NSF). Chaque année, cette agence fédérale au budget de 9 milliards de dollars contribue à financer la recherche sur ces sujets dans le pays et ailleurs dans le monde. Jusqu’à l’arrivée de Trump, l’agence sélectionnait les projets de recherche selon leur intérêt scientifique en toute indépendance, sans interférence du pouvoir politique. Cette liste de mots est le symbole de la fin de cette ère.
Des mots censurés pour cause de « wokisme » (...)
Parmi ces ordres, celui de passer en revue « tous les programmes, contrats et subventions de l’agence et mettre fin à tous ceux qui promeuvent ou inculquent l’idéologie du genre ».
Différents sites gouvernementaux ont aussi été vidés des contenus qui déplaisent à la nouvelle administration. « Les centres de contrôle et de prévention des maladies ont supprimé les données et les ressources relatives aux personnes transgenres, au VIH et à la justice environnementale, illustre le média indépendant Grist. Le ministère de l’Énergie a supprimé les ressources en ligne destinées aux personnes ayant des difficultés à payer leurs factures d’énergie. »
Ces attaques, qui portent tant sur l’accès aux données que sur le financement de la recherche, inquiètent jusqu’en France. « C’est dramatique, car la donnée est quelque chose de fondamental, et ce, pour l’ensemble de la communauté universitaire mondiale », déplore Isabelle This Saint-Jean, économiste et professeure à l’Université Sorbonne Paris Nord (...)
Résister en sauvegardant les données
L’universitaire fustige également les atteintes faites à la recherche dans le domaine du genre, des discriminations et des inégalités, cachées sous « le mot d’ordre complètement dingue du "wokisme", d’ailleurs jamais défini ». Elle ajoute : « Je ne sais pas si les gens réalisent à quel point cette attaque est profonde. C’est toute la gauche qui est attaquée, et tous les supports d’analyse qui permettent de trancher des débats de société. » Selon la chercheuse, le fait que l’extrême droite et une partie de la droite françaises saluent ces initiatives est inquiétant. « Eux, ils savent ce qu’ils font. Mais je crains que nos concitoyens ne se rendent pas compte de ce que cela veut dire. » (...)
D’autres organisations œuvrent pour essayer de sauver les données et la mémoire de ces changements. Entre autres, le End of Term Web Archive (EoT Archive), « une coalition non partisane qui sauvegarde tous les documents gouvernementaux à la fin de chaque mandat présidentiel », et le collectif Public Environmental Data Partners, dont les organisations membres « se consacrent à la conservation des données environnementales fédérales », énumère un article du MIT Technology Review (traduit par Courrier International).
L’une des promesses de Donald Trump était d’amnistier tous les émeutiers du Capitole du 7 janvier 2021. Chose promise, chose faite, plus de 1500 de ses supporters violents ont été libérés ou amnistiés dès son arrivée au pouvoir. Mais l’administration Trump ne s’est pas arrêtée là : elle a aussi décidé de supprimer du site du ministère de la Justice la base de données sur toutes les affaires liées à cet événement. (...)
Cette décision discrète, explique ProPublica, « signale l’intention de l’administration Trump non seulement d’épargner aux partisans du président toute autre conséquence pour leur rôle dans l’émeute, mais aussi d’effacer l’événement des annales ». Cette disparition est aussi une perte pour l’histoire, ajoute le média d’investigation, car « elle compromet notre capacité à considérer les événements du 6 janvier dans toute leur complexité et leur particularité ».
Un anti-Trump devient chef du FBI malgré lui
Non seulement le nouveau président veut effacer les traces de cet événement, mais il veut aussi venger les émeutiers putschistes. La tâche ne se révèle pourtant pas aussi facile que prévu. Le directeur par intérim du FBI, Brian Driscoll « est devenu le symbole improbable d’une résistance discrète à la campagne du ministère de la Justice visant à épingler les employés du FBI qui ont enquêté sur l’émeute du 6 janvier », raconte le New York Times. (...)
Il n’est pas toujours facile de résister aux décisions de Trump. Beaucoup de fonctionnaires ont été licenciés, d’autres vagues de coupes budgétaires devraient encore ébranler nombre d’agences fédérales. Rien qu’au sein de l’administration fédérale de l’aviation (FAA), des centaines d’employés ont été virés « malgré quatre accidents mortels depuis l’investiture » de Trump, note The Guardian. Le service des forêts doit se séparer d’environ 3400 personnes, celui des parcs nationaux de près de 1000 employés.
Ces décisions pourront avoir des conséquences désastreuses pour la nature comme pour les populations (...)
Les citoyens cherchent à se faire entendre dans la rue : le 17 février, le « jour des présidents » aux États-Unis, des milliers de manifestantes et manifestants se sont rassemblés dans les grandes villes du pays contre les actions de Musk et Trump. De son côté, le média indépendant Labor Notes raconte comment les syndicats des agents fédéraux gagnent des adhérents et s’organisent. Mais aussi comment, à leur base, les travailleurs et travailleuses transcendent les appartenances syndicales, « partageant des informations précises et des stratégies de riposte ».
Cette vague de censure intervient également dans un contexte où les mouvements ultra-conservateurs trumpistes réussissent depuis plusieurs années à faire interdire l’accès à des dizaines de milliers de livres dans les bibliothèques, à l’échelle locale d’un district scolaire ou à celle d’un État fédéré, en particulier en Floride ou au Texas. L’association PEN America, qui œuvre à la liberté d’expression dans la littérature, « a recensé un total de 10 046 titres interdits, dont plus de 4 000 ont été retirés des bibliothèques scolaires », raconte France 24. (...)