
"Si on ne peut pas le cultiver, il faut l’extraire", tel est le credo du mineur. L’extraction de minéraux, de métaux et de combustibles du sol est l’une des plus anciennes industries de l’humanité. Et notre appétit pour ces produits ne cesse de croître.
La société est plus dépendante que jamais d’une plus grande variété et de plus grands volumes de substances extraites. Si vous vivez dans un pays à revenu moyen, vous utilisez chaque année environ 17 tonnes de matières premières, soit l’équivalent du poids de trois éléphants et deux fois plus qu’il y a 20 ans. Pour une personne vivant dans un pays à revenu élevé, il s’agit de 26 tonnes, soit l’équivalent de quatre éléphants et demi.
L’extraction de nouveaux matériaux continue d’être moins chère que la réutilisation pour de nombreuses substances, ce qui amène certains experts à tirer la sonnette d’alarme quant à la pression croissante des mines sur le monde naturel. De plus en plus de personnes s’inquiètent du fait que les conséquences environnementales de la pollution et de la perte de biodiversité causées par les mines, ainsi que les répercussions sociales sur les communautés locales, pourraient parfois l’emporter sur les avantages de l’exploitation minière. (...)
imaginer un monde sans accès au sous-sol nous permet d’examiner à quel point nous sommes devenus dépendants de cette extraction continue. Cela nous invite également à considérer la frivolité avec laquelle nous jetons souvent ces matériaux, et à examiner le potentiel négligé de ces déchets comme source de nouveaux matériaux. (...)
Le premier jour d’un monde qui cesserait d’exploiter les mines, l’activité sur cette étendue collective s’arrêterait. Les travailleurs des profondes mines de cobalt de la République démocratique du Congo laisseraient tomber leurs pelles, les colossales roues à godets des mines de lignite d’Allemagne cesseraient d’exploiter les mines à ciel ouvert et les petits bateaux du delta du Mékong cesseraient d’aspirer les sables.
La première onde de choc concernerait les emplois. Dans le monde entier, l’arrêt de l’exploitation minière entraînerait la suppression d’environ quatre millions d’emplois officiels dans le secteur. Et le bilan ne s’arrêterait pas là. (...)
Dans un monde sans exploitation minière, des villes fantômes seraient créées presque du jour au lendemain. (...)
Dès le septième jour, des répercussions massives se feraient sentir dans la société. "L’énergie serait la principale préoccupation", déclare John Thompson, consultant minier et professeur de durabilité basé à Vancouver. "Et le charbon serait le premier à disparaître". (...)
Comme 35 % de la population mondiale dépend encore du charbon pour produire de l’électricité, peu de pays échapperaient à une crise énergétique soudaine. Cependant, l’utilisation du charbon pour la production d’électricité n’est pas égale dans le monde entier - elle est de 15 % en Europe, de 63 % en Chine et de 84 % en Afrique du Sud - de sorte que l’inégalité énergétique entre les pays se ferait rapidement sentir.
Pour faire face à cette coupure d’électricité, les gouvernements pourraient commencer à se tourner vers le passé. Les grèves minières des années 1970 au Royaume-Uni, où des coupures de courant et des rations d’électricité ont été imposées, pourraient être utilisées pour limiter les dégâts. (...)
Un effet indirect, mais paralysant, de telles coupures d’électricité à l’heure actuelle serait l’interruption des communications. L’internet, dont beaucoup de serveurs dépendent encore de l’électricité produite par le charbon, serait coupé ou réduit. Les réseaux de téléphonie mobile pourraient tenir plus longtemps, mais avec moins d’électricité dans le réseau, recharger les appareils pourrait devenir un luxe. Les lignes terrestres filaires, qui sont reliées à des centraux téléphoniques, seraient les plus durables, du moins tant que des générateurs de secours et des batteries pourraient les faire fonctionner.
Peu après, les matériaux volumineux se feront rares. Les stocks de sable et de gravier, qui sont des ingrédients essentiels à la fabrication du béton, sont relativement peu importants. Selon M. Thompson, les réserves de ces deux matériaux seraient épuisées en deux ou trois semaines. (...)
même si l’on s’empresse de mettre en œuvre de meilleurs processus de recyclage, à court terme, la construction de nouveaux logements chuterait. (...)
Pendant ce temps, la température dans les maisons existantes deviendrait de plus en plus inconfortable, car les réserves de gaz commenceraient à s’épuiser au bout de quelques semaines, ce qui réduirait l’énergie nécessaire au chauffage et à la climatisation. (...)
. "C’est après environ deux mois que les choses deviennent vraiment intéressantes, car l’arrêt de l’exploitation minière touche les métaux", explique M. Thompson. De nombreux métaux extraits sont négociés sur les marchés boursiers de Londres et de New York, où les chiffres échangés dans les salles de marché reflètent le mouvement réel des stocks physiques entre les entrepôts du monde entier. Pour le cuivre, un excellent conducteur essentiel à la quasi-totalité des appareils électroniques, les stocks seraient réduits à néant en six à dix semaines, selon M. Thompson.
Le prix des métaux s’envolerait alors. "Il n’est pas difficile d’imaginer que les vols augmenteraient à ce stade" (...)
Les vols pourraient augmenter pour tous les métaux industriels - cuivre, fer, aluminium, zinc, plomb et nickel - qui représentent en masse 98 % de tous les métaux extraits. La pénurie révélerait à quel point cette poignée de métaux est devenue l’élément vital de la société. (...)
La plupart des pays extraient quelque chose. (...)
Dans un scénario d’absence d’exploitation minière des métaux, ce sont les économies entières de pays tels que le Suriname, avec ses mines d’or industrielles, la République démocratique du Congo, où le cobalt est roi, et la Mongolie, un exportateur de cuivre de premier plan, qui seraient menacées. (...)
Simon Jowitt, géologue économique à l’université du Nevada à Las Vegas, ne mâche pas ses mots sur ce à quoi ressemblerait, selon lui, la fin de l’exploitation des métaux. "Ce serait la fin de la société telle que nous la reconnaissons aujourd’hui", dit-il, en faisant remarquer que nous exploitons plus de mines aujourd’hui que jamais auparavant.
Un bon exemple de notre dépendance croissante à l’égard d’un large éventail de métaux est le téléphone portable moyen, explique M. Jowitt. (...)
Environ trois mois après la fin de l’exploitation minière, les stocks de métaux de terres rares et d’autres métaux utiles à la technologie seraient épuisés, ce qui entraînerait des tendances inquiétantes pour les industries pharmaceutique, automobile, électronique et de la construction. Cela entraînerait un chômage massif d’une ampleur "jamais vue", selon M. Thompson.
Juste à temps pour l’effondrement des chaînes d’approvisionnement, les réserves de pétrole seraient finalement épuisées. La réserve stratégique de pétrole des États-Unis, le plus grand stock de pétrole de secours au monde, contient 730 millions de barils de pétrole stockés dans des cavernes de sel à travers le pays - assez pour trois mois tout au plus. La production d’essence, de diesel, de plastique et d’asphalte routier prendrait fin. Et avec eux, l’ère des combustibles fossiles. (...)
Après quelques mois, l’approvisionnement alimentaire mondial serait en crise. On estime que 50 % de la production alimentaire dépend des engrais synthétiques, qui sont composés de formules variables de phosphore, de potassium et de gaz naturel. La baisse du rendement des cultures pourrait entraîner des pénuries alimentaires. "En particulier dans les pays où le climat ne favorise pas la production alimentaire" (...)
Le combustible nucléaire étant stocké des mois à l’avance, il pourrait s’écouler jusqu’à un an avant que la société ne soit à court d’énergie nucléaire. Les énergies renouvelables, en revanche, seraient les faiseurs de roi par excellence. Les pays dont la production d’énergie renouvelable par personne est la plus élevée bénéficieraient d’un avantage considérable. L’Islande et la Norvège, qui tirent la quasi-totalité de leur énergie de sources hydroélectriques et géothermiques, seraient parmi les nations les mieux équipées pour surmonter la tempête socio-économique.
Mais, par un cruel coup du sort, malgré l’énorme demande de nouvelles énergies renouvelables, les taux de déploiement de l’énergie éolienne et solaire s’effondreraient. Le paradoxe des énergies renouvelables est que, dans leur forme actuelle, elles nécessitent des volumes sans précédent de matériaux miniers non renouvelables. (...)
La pression ne tardera pas à augmenter pour réorienter tout le recyclage des métaux vers les énergies renouvelables. "Nous recyclons déjà pas mal de choses", déclare M. Jowitt. "La plupart des métaux de base et une poignée d’autres éléments sont déjà recyclés à leur fin de vie à un taux de plus de 50 %."
Cependant, d’autres métaux essentiels aux énergies renouvelables, comme les terres rares, sont "perdus par conception", dit-il. (...)
Mais même si la technologie se développait pour extraire ces minuscules quantités de métaux de terres rares, il est peu probable qu’elle atteigne la quantité nécessaire pour développer considérablement les énergies renouvelables. "La demande de métaux est déjà prête à dépasser de nombreuses fois la production actuelle", affirme M. Jowitt. Selon la Banque mondiale, dans un monde en voie de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C, la production annuelle de graphite, de cobalt et de lithium sera cinq fois plus élevée d’ici 2050 que la production actuelle. (...)
Un nouveau monde sans exploitation minière devrait réfléchir soigneusement à l’égalité d’accès aux matériaux. (...)
Une ruée sans précédent vers la recherche pourrait toutefois conduire à des percées dans les technologies de recyclage et la conception circulaire. "Les produits seraient conçus de manière à durer plus longtemps ou à pouvoir être démontés plus facilement, et les composants réintégrés dans le système", explique M. Thompson. Il s’agirait d’une véritable volte-face pour l’industrie technologique, qui produit aujourd’hui des batteries notoirement difficiles à recycler. La recherche pourrait être orientée vers des méthodes permettant d’extraire des métaux sans recourir à l’exploitation minière, comme l’électrolyse de l’eau de mer et des saumures. "On pourrait également développer de nouveaux biomatériaux qui pourraient imiter ou remplacer le rôle des métaux", explique M. Thompson. "Heureusement, ils seraient probablement plus recyclables. (...)
Dans le même temps, la production d’énergie devra peut-être s’adapter à des systèmes plus petits et plus décentralisés, probablement en utilisant des technologies déjà inventées. (...)
Seas At Risk plaide pour l’importance de repenser la consommation d’énergie dans un scénario sans mines, ainsi que pour une politique environnementale prudente. En l’absence d’une vision claire, la production controversée de biocarburants pourrait combler le manque d’énergie, de vastes zones de terres étant consacrées aux pratiques forestières pour fournir du bois comme source de matériaux de construction, d’énergie et de biocarburants. (...)
Si toutes les mines cessaient d’être exploitées, il resterait une zone d’une superficie au moins égale à celle de l’Autriche, avec des niveaux de métaux lourds dégradés et, dans certains cas, dangereux. "L’exploitation minière est un processus d’entropie. Nous faisons sortir des matériaux des concentrations souterraines enfermées et nous les laissons sortir dans le monde."
Assurer le nettoyage et la réhabilitation de ces zones serait vital. Les mines fonctionnent généralement à des profondeurs inférieures à la nappe phréatique, qui doivent être constamment asséchées à l’aide de pompes. Lorsqu’une mine est abandonnée, la nappe phréatique réalimente progressivement les passages souterrains et les filons minéraux pendant de nombreux mois, créant ainsi des réservoirs d’eau acide. En surface, les bassins de résidus et les piles de minerai de qualité inférieure contenant des traces de métaux lourds sont en attente. "Tous ces matériaux sont exposés à l’eau et à l’oxygène", explique M. Lèbre. L’exposition de ces éléments aux éléments, eh bien, fait des ravages sur les écosystèmes, les sols et les réserves d’eau par lixiviation acide. "Une mine abandonnée peut présenter une pollution chronique pendant des centaines, voire des milliers d’années", explique M. Lèbre. (...)
L’exploitation minière n’est pas près de disparaître : en fait, les experts prévoient une nouvelle poussée de l’exploitation des métaux et des agrégats au cours des prochaines décennies. À l’exception d’une poignée d’éléments, comme le plomb et l’étain, l’extraction de tous les métaux augmente même par habitant, note M. Jowitt. (...)
Le fait que l’augmentation de l’extraction minière aura probablement des répercussions plus importantes sur les terres est peut-être plus préoccupant. Laura Sonter, chercheuse dans le domaine de l’exploitation minière et de la biodiversité, et ses collègues ont récemment prévenu que l’extraction des matériaux nécessaires à la production d’énergie renouvelable augmenterait les menaces pesant sur la biodiversité. Sans une planification minutieuse, ces nouvelles menaces pourraient dépasser celles évitées par l’atténuation du changement climatique.