
Épaulée par Shrouq Aila, la veuve d’un journaliste gazaoui, la grand reporter Martine Laroche-Joubert a réussi à filmer Gaza bombardée, pourtant fermée aux journalistes étrangers. Leur enquête témoigne de la difficulté de survivre au quotidien.
Quand on est journaliste, c’est pour la vie. Il faut montrer ce qui se passe à Gaza. » Voilà pourquoi Shrouq Aila a accepté d’aider Martine Laroche-Joubert à réaliser un documentaire dans l’enclave, sous le feu israélien depuis l’attaque terroriste du 7 octobre 2023. La grand reporter (connue pour ses travaux en Libye, au Pakistan, en Centrafrique…) voulait documenter « la lutte quotidienne pour survivre » à Gaza, où elle avait déjà fait de nombreux reportages. Seulement, cette fois, les journalistes étrangers n’y ont pas accès. Et ses contacts habituels ont tous quitté la bande quand elle démarre son travail avec la production Slug News, début mars. Un collègue de Radio France lui parle de Shrouq Aila : « Il avait collaboré avec son mari, journaliste aussi, et m’a assuré que je pouvais avoir confiance, qu’ils étaient professionnels et fiables, et ne travaillaient pas pour le Hamas. » Rushdi Sarraj, mari de Shrouq et père de leur fillette Dania, est mort dans un bombardement le 23 octobre, devant leur domicile de la ville de Gaza. « Alors, j’ai repris ses activités », dit simplement Shrouq, jointe par téléphone fin juillet. (...)
Quand Martine Laroche-Joubert l’appelle, Shrouq est réfugiée à Rafah, dans le Sud. S’engage un travail « par SMS, WhatsApp, pour échanger sur les angles, les lieux où il était possible de se rendre, les questions à poser, les interlocuteurs que nous connaissions, raconte la journaliste française. Avec les connexions instables, je recevais parfois les images après plusieurs jours. Il a fallu annuler certains tournages, trop dangereux, et s’adapter en permanence. » Pour bâtir ce document rare qui témoigne de l’ampleur des dévastations, du danger permanent, du dénuement des Gazaouis, elle s’est aussi appuyée sur une anesthésiste de Médecins sans frontières et un obstétricien de l’ONG Palmed, filmés par eux-mêmes ou par Shrouq Aila, qui montrent leurs épiques conditions de travail tout le long du territoire : à Rafah, Khan Younès, ou dans le Nord.
Début mai, Rafah est à son tour sous le feu. Shrouq fuit de nouveau comme tant d’autres, cette fois à Deir al-Balah, au centre de Gaza, sur une plage recouverte de tentes bricolées. (...)
« La parole n’est pas libre à Gaza, explique Martine Laroche-Joubert. En 2016, alors que j’interrogeais des femmes à propos du Hamas, elles avaient gardé le silence, ouvrant simplement le robinet pour montrer que l’eau ne coulait pas. » Grâce à ses anciens contacts, elle a trouvé un témoin qui critique violemment le Hamas au téléphone, dont elle a « reconstitué [la] voix pour rendre son identification absolument impossible ». (...)