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À l’issue de plusieurs années d’enquête, l’autorité indépendante a publié mercredi 29 janvier une décision d’une ampleur inédite, qui pointe de « graves » atteintes aux droits des mineurs. Elle replace l’État devant sa responsabilité : « Rester garant du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Les « dysfonctionnements » qui plombent la protection de l’enfance sont devenus tels, en France, qu’ils engendrent « des atteintes graves et massives » aux droits des 0-18 ans. Ce coup de semonce des services du Défenseur des droits, rendu public mercredi 29 janvier, a été adressé non seulement au premier ministre, François Bayrou, et à une pléiade de ministres (justice, santé, etc.), mais aussi à tous les départements et préfets et préfètes de France.
Car le message de cette « décision-cadre » inédite, rédigée par l’autorité administrative indépendante à l’issue d’années d’enquête de terrain, pourrait se résumer ainsi : les missions de l’Aide sociale à l’enfance (ASE – 400 000 jeunes pris en charge) relèvent certes des départements, mais leur dégradation atteint un tel degré en France que l’État n’a plus le droit de se cacher derrière son petit doigt. La défense habituelle consistant à mettre les élus locaux à l’index explose désormais en vol. (...)
À ce diagnostic national, s’ajoutent sept décisions visant des territoires particuliers, dont les défaillances sont pointées. Bien qu’anonymisés dans le texte, on en retrouve facilement l’identité : le Nord, le Pas-de-Calais, la Loire-Atlantique, la Sarthe, ou encore la Somme. D’autres décisions pourraient encore tomber… (...)
D’ores et déjà, 46 recommandations sont listées. Et l’ensemble des destinataires – départements comme ministres – sont priés « de rendre compte des suites données dans un délai de quatre mois ».
À lire les 60 pages de la décision-cadre, le nouveau gouvernement a du pain sur la planche. L’absence en son sein de portefeuille dédié aux enfants ne devrait pas simplifier la tâche : après quatre ministres sur ce poste en deux ans, aucun n’a en effet été renommé en décembre. Et la création d’un « Haut-Commissariat à l’enfance » promis par Emmanuel Macron dans la foulée, comme pour se rattraper, n’a toujours ni adresse, ni patron·ne, ni décret.
Si le Défenseur des droits s’est emparé du sujet, c’est qu’il a été saisi non seulement par des éducateurs, des éducatrices et des soignant·es, mais aussi – et c’est inédit – par des juges des enfants. (...)
Système au bord du gouffre
Dans la Sarthe, l’institution a par exemple enquêté sur le cas d’Amine, un garçon de moins de 3 ans resté chez sa mère alors que son placement avait été ordonné à l’été 2023. « Il est monté sur le toit de son immeuble en passant par un vasistas, il est tombé et il est mort », résume Claire Hédon (dans Le Figaro).
À l’automne suivant, le Syndicat de la magistrature (classé à gauche) avait estimé qu’au moins 3 500 mineur·es en danger (victimes d’inceste, de coups, de négligences graves, etc.) attendaient que leur placement soit exécuté « pour de vrai ». Quant aux mesures de suivi à domicile, une quarantaine de juges avaient signalé entre huit et douze mois d’attente en moyenne avant leur démarrage ; tandis qu’une quinzaine déploraient des retards de plus d’un an. Une éternité dans la vie d’un bébé ou d’un·e adolescent·e en souffrance.
Encore faut-il qu’un·e magistrat·e soit saisi·e. (...)
Longtemps invisibilisés, de plus en plus d’(ex)-enfants placés se sont mobilisés ces dernières années, jusqu’à obtenir une commission d’enquête à l’Assemblée nationale, mais très peu sont en capacité, en réalité, de déposer plainte.
Des manquements en série
Début 2023, dans l’un des départements visés par le DDD, « près de 130 postes étaient vacants » parmi les professionnel·les de l’ASE. Au point que certains se retrouvent contraints de « se rendre aux audiences » pour présenter aux juges « des situations qu’ils ne connaissent pas ».
Mais il serait trop long de dresser la liste des atteintes aux droits répertoriées par l’institution : « non-respect du droit de visite médiatisé d’un parent à son enfant », « maltraitances en établissement ou famille d’accueil non prises en compte par l’autorité de contrôle », « refus de prise en charge de mineurs [étrangers] non accompagnés », « accueils d’enfants dans des lieux non autorisés par la loi (hôtels, gîtes…) »… Des jeunes placés à l’hôtel malgré l’interdiction légale ont ainsi été happés par des réseaux de prostitution.
Et puis, on ne compte plus les cas d’« enfants en situation de handicap dont la prise en charge est inadaptée ». (...)
L’institution insiste par ailleurs sur les manquements dans « l’accès aux soins en santé mentale » (...)
En définitive, ne faudrait-il pas recentraliser la protection de l’enfance (qui avait été confiée aux départements dans les années 1980) ? L’institution ne suit pas ce chemin. Mais elle souligne que rien ne pourra se faire sans moyens supplémentaires.
Si les départements doivent continuer de « s’investir », il revient à l’État non seulement « de compenser les charges induites par les obligations nouvelles pesant sur les départements » (mineurs étrangers, extension de la prime Ségur promise aux travailleurs sociaux par exemple), mais aussi « d’augmenter significativement sa partie du budget consacrée aux solidarités ». Le nouveau gouvernement n’en prend pas le chemin.