Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
En Roumanie, un sursaut de mobilisation fait chuter le candidat d’extrême droite
#Roumanie #Extremedroite #electionpresidentielle
Article mis en ligne le 19 mai 2025

Le maire de Bucarest, un indépendant pro-européen et libéral, a déjoué les attentes en Roumanie : il s’est imposé dimanche 18 mai au deuxième tour de la présidentielle, porté par une participation massive de citoyens qui se sont déplacés pour faire barrage à l’extrême droite.

Malgré une avance colossale au premier tour, George Simion, le candidat d’extrême droite, s’est incliné au second tour de la présidentielle roumaine. Une mobilisation des citoyen·nes bien plus massive qu’attendu – 64,7 %, soit plus de onze points de plus qu’au premier tour, ce qui constitue le taux le plus élevé depuis la présidentielle de 1996 – a permis la victoire du candidat indépendant et pro-européen, l’actuel maire de Bucarest Nicușor Dan.

Cet ancien mathématicien de 55 ans, qui n’est pas réputé pour son charisme, a rassemblé 54,4 % des voix, contre 45,6 % pour Simion, selon des chiffres quasiment définitifs, portant sur plus de 96 % des suffrages dépouillés. Au premier tour, Nicușor Dan n’avait récolté que 21 % des voix. En l’espace de deux semaines, il a donc gagné quelque 3,5 millions de voix (sur un total d’un peu plus de dix millions de votant·es). (...)

Après la publication des premiers sondages sortie des urnes, qui le donnaient d’emblée perdant, George Simion, quant à lui, a revendiqué malgré tout la première place, parlant d’une « victoire nette », lors d’une allocution faite devant les marches du Sénat, devant l’immense Palais du peuple construit du temps de Nicolae Ceaușescu. Sur le réseau social X, il annonçait même : « Je suis le nouveau président de la Roumanie. »

Ces sorties laissent entendre que lui et son camp pourraient contester la victoire. En milieu de journée, Simion avait déjà posté un message sur X assurant que « de nombreuses personnes décédées figurent sur les listes électorales roumaines », et fournissant un numéro de téléphone pour dénoncer d’éventuelles irrégularités observées dans les bureaux de vote. Les deux candidats comptent près de 900 000 voix d’écart.

Le déroulé du scrutin a aussi été marqué par le message envoyé ce dimanche par le fondateur de Telegram à des utilisatrices et utilisateurs roumains de la messagerie. Pavel Durov y accuse des Occidentaux – et les autorités françaises en particulier – d’avoir cherché à « réduire des voix conservatrices au silence » en Roumanie « en amont de l’élection présidentielle d’aujourd’hui ». Un porte-parole du ministère des affaires étrangères roumain a dénoncé en réaction une nouvelle forme d’« ingérence russe », tandis que le Quai d’Orsay a vivement démenti les accusations.

La présidentielle roumaine était scrutée avec attention par la communauté internationale, après l’annulation d’un premier scrutin en novembre dernier où l’extrême droite était arrivée en tête, alors que les autorités avaient dénoncé des ingérences russes. (...)

Les eurodéputé·es du Rassemblement national (RN) Thierry Mariani et Virginie Joron avaient ainsi fait le déplacement à Bucarest pour soutenir ce dimanche George Simion (...)

Aussi spectaculaire soit-il, le sursaut en faveur de Dan n’est pas tout à fait inédit dans l’histoire récente roumaine : à la présidentielle de 2014, le social-démocrate Victor Ponta était arrivé en tête du premier tour (40,4 % des voix, avec dix points d’avance sur le second), mais s’était finalement incliné face au libéral Klaus Iohannis, après une hausse de la participation (onze points de plus d’un tour à l’autre).

Au-delà du sursaut de mobilisation, Simion paie sans doute le prix d’une fin de campagne erratique, avant tout menée à l’étranger, depuis Rome ou Varsovie, davantage que dans les territoires ruraux et les petites villes qui constituent le principal bassin de voix. Concernant le vote des Roumain·es de France, Simion semblait bien parti pour rester en tête ce dimanche, alors que deux tiers des bureaux de vote étaient dépouillés, mais avec une avance moindre qu’au premier tour.
Dan, un libéral formé à Paris

Le vainqueur de la soirée, Nicușor Dan, a réalisé une partie de ses études dans le capitale française, notamment à l’École normale supérieure, à partir de 1992. Il a présenté sa thèse réalisée à Paris XIII en 1998, année au cours de laquelle il décida de retourner en Roumanie, soit neuf ans après la chute de la dictature communiste de Nicolae Ceaușescu.

Il s’engagea plus nettement en politique à partir de 2006 en créant l’association Sauver Bucarest, visant à préserver le patrimoine architectural de la capitale et ses espaces verts, menacés par la spéculation immobilière. Ce collectif est devenu la plateforme avec laquelle il s’est ensuite présenté à la mairie, à partir de 2012. Il a finalement été élu maire en 2020. (...) (...)

Dan est un fervent partisan de l’Union européenne, comme du soutien militaire à l’Ukraine – de quoi soulager les institutions bruxelloises ce dimanche soir, après six mois d’une séquence politique très délicate.

À court terme, l’ancien mathématicien devra proposer à la chambre basse le nom d’un chef de gouvernement capable de répondre à la poussée du déficit public (9,3 % du PIB en 2024, le plus élevé d’Europe). Il devra surtout répondre à l’extrême polarisation du pays (comme le prouve la répartition géographique du vote). Car si l’extrême droite a perdu ce dimanche, elle ne cesse de progresser. La colère d’un pan de l’électorat, choqué par les scandales politiques à répétition, et qui n’a pas profité de l’essor économique de la Roumanie depuis son entrée dans l’UE, s’annonce difficile à apaiser.

De ce point de vue, la manière dont Nicușor Dan a fait campagne dans l’entre-deux tours – surtout à Bucarest et dans les grandes villes, et en vantant les bienfaits de politiques néolibérales prônées par l’UE – n’invite pas forcément à l’optimisme. « À partir de demain, commençons tous ensemble à reconstruire la Roumanie ! », a cependant lancé le vainqueur, dans la soirée.