
Daouda (prénom d’emprunt) a été interpellé en février dernier dans sa maison de Sfax, dans le centre-est de la Tunisie, et emprisonné plus d’un mois pour "séjour irrégulier" dans la prison de Thyna. Comme lui, de nombreux Subsahariens sont condamnés en Tunisie pour "séjour illégal" et se retrouvent aux côtés de prisonniers de droit commun. Daouda a contacté la rédaction d’InfoMigrants pour livrer son témoignage.
(...) "Au mois de février, des policiers ont fait irruption dans la maison dans laquelle je vivais à Sfax avec ma femme et quatre autres personnes originaires de Guinée et de Côte d’Ivoire - dont une femme enceinte de sept mois. Les policiers ont tout cassé, ils ont fouillé les lieux pour nous voler nos téléphones et nos effets personnels en braquant des armes sur nous.
Ils nous ont menottés et nous ont envoyés au commissariat le plus proche. Après quelques heures, on a été transférés dans la prison de Thyna, à Sfax. J’ai été séparé de ma femme.
Une semaine plus tard, j’ai comparu devant un tribunal. J’ai été condamné à 32 jours d’emprisonnement pour "séjour irrégulier". (...)
"J’ai vu des Subsahariens devenir fou"
Ce que j’ai vu dans la prison de Thyna, ce n’est pas humain.
Dans les cellules, les Subsahariens sont mélangés avec des prisonniers tunisiens, des violeurs, des criminels, des voleurs. On était environ 150 dans la pièce, la majorité étaient des ressortissants de Tunisie, il y avait environ 50 Subsahariens.
Quand tu arrives dans la prison, si tu as la peau noire, tu deviens une cible.
Dans chaque cellule se trouve un ’caporal’, un détenu tunisien qui a le rôle de chef. Les prisonniers peuvent te frapper sans raison. Et si tu te plains au ’caporal’, il te bastonne aussi. S’il appelle les gardiens, eux aussi te mettent des coups.
Chaque jour qui passe dans la prison, on essaye donc de se faire le plus discret possible et ne pas avoir de problèmes avec un Tunisien. (...)
Les inégalités de traitement se ressentent à tous les niveaux. En ce qui concerne l’alimentation d’abord : quand la nourriture est distribuée dans la cellule, les Tunisiens sont les premiers servis. Et les rations ne sont pas les mêmes pour tous. Par exemple, les Noirs ont une bouteille de lait d’un litre pour quatre personnes ; quand les Tunisiens se partagent une bouteille pour deux. Ils ont toujours plus de nourriture que nous.
Le coucher aussi est différent. Les Subsahariens dorment près des toilettes, à la pire place de la cellule. On a que neuf lits pour 50 migrants. On dort donc à deux sur un matelas, le reste passe la nuit par terre. Ce qui n’est pas le cas des citoyens nationaux.
Le soir, nous ne décidons pas de l’heure du coucher. Ce sont les Tunisiens qui nous ordonnent de dormir. Et à partir de ce moment là, on n’a plus le droit de parler. Eux, en revanche, ils s’endorment beaucoup plus tard et discutent des heures.
J’ai vu des Subsahariens devenir fou dans cette prison. Certains présentent des troubles mentaux : ils divaguent, ne savent pas ce qu’ils disent. C’est terrible.
Kidnappé en sortant de prison
Fin mars, j’ai enfin été libéré et j’ai retrouvé ma femme, sortie de prison au même moment que moi. Tout comme mes colocataires. Les policiers nous ont lâchés au milieu de nulle part, sous un pont près d’une autoroute. (...)
une douzaine de personnes - des Tunisiens et des Subsahariens - avec des machettes nous ont menacés et forcés de monter avec eux. Ils nous ont kidnappés.
Ils nous ont emmenés dans une maison perdue en périphérie de Sfax. Ils nous ont frappés avec le côté de leurs marchettes. Pendant qu’ils vous battent, ils appellent vos parents en vidéo pour qu’ils payent une rançon. Si vous refusez de payer, ils vous mettent dans un puit pendant plusieurs heures. (...)
Au total, j’ai dû débourser 1 million 250 000 francs CFA [environ 1 900 euros, ndlr] pour ma libération et celle de ma femme. C’était de l’argent que j’avais confié à ma sœur restée au pays. J’avais économisé en travaillant dans le bâtiment en Algérie, avant de venir en Tunisie, pour payer la traversée de la Méditerranée. Aujourd’hui, on vit dans les oliveraies, au gré des évacuations, et on n’a plus rien." (...)