
Depuis le mois de juin 2022, France terre d’asile est en charge de l’évaluation de la minorité des jeunes migrants étrangers à Paris. Leur dispositif baptisé Accueil des mineurs non accompagnés, ou AMNA, a évalué près de 12 000 jeunes en 2024, majoritairement des Guinéens, des Ivoiriens et des Maliens. Et 30% d’entre eux ont été reconnus mineurs à l’issue de la procédure et pris en charge par les autorités.
Si ces jeunes étrangers, en situation irrégulière, sont reconnus mineurs, ils pourront être pris en charge par les autorités au titre de la protection de l’enfance. Dans le cas contraire, ils seront considérés comme majeurs, et bien souvent, c’est le retour à la rue qui les attend. Mais comment se déroule l’entretien à l’AMNA ? À quoi les jeunes doivent-ils s’attendre ? Ont-ils droit à un hébergement pendant la procédure ?
Entretien avec Béatrix Allan, directrice du service d’évaluation au sein de l’AMNA.
1/ L’AMNA est donc la seule structure à évaluer l’âge des jeunes étrangers qui arrivent à Paris et veulent faire reconnaître leur minorité ?
Béatrix Allan : Oui. Il faut savoir que les jeunes ne nous connaissent pas trop sous l’appellation ’AMNA’. À Paris, on dit plutôt : ’Tolbiac’ ou ’Les rendez-vous de Tolbiac’.
Ici, pas besoin de prendre rendez-vous, on vient spontanément, on est ensuite orientés par le personnel de France terre d’asile.
En moyenne, on accueille 130 jeunes par semaine. En ce moment, la fréquence est légèrement plus basse. Mais le plus souvent, la moitié des jeunes qu’on reçoit sur l’ensemble de la semaine se présentent à nous le lundi. On parle d’une quarantaine de personnes. Plus la semaine avance, moins ils sont nombreux. Souvent, le samedi on accueille moins d’une dizaine de jeunes. (...)
Après le passage en pré-accueil, les jeunes vont être mis à l’abri et se reposer, ils peuvent se faire soigner en fonction des pathologies détectées. On peut les diriger vers une PASS ou vers une de nos psychologues. Ce n’est que trois ou quatre jours plus tard qu’ils reviendront dans nos locaux pour leur entretien d’évaluation de la minorité et de l’isolement. (...)
2/ Tous les jeunes sont-ils automatiquement hébergés durant leur évaluation ?
Oui, leur mise à l’abri est automatique. Nous avons deux foyers pour les garçons dans les 11e et 12e arrondissements parisiens. Nous faisons en sorte qu’il y ait toujours des places disponibles. Nous avons également un centre pour les filles dans le 20e arrondissement. En tout, nous avons quelque 100 places d’hébergement, mais le nombre de lits peut augmenter si davantage de jeunes se présentent.
Dans ces foyers exclusivement dédiés à la prise en charge des jeunes, ils sont encadrés par des animateurs, des éducateurs, ils peuvent avoir accès à des activités sportives, le plus souvent, ils se tournent vers le foot... C’est un temps de répit bienvenu pour ces personnes qui ont souvent des parcours migratoires compliqués.
Je répète et j’insiste, tous les jeunes qui passent par nos locaux auront un endroit où dormir le soir pendant toute la durée de leur évaluation.
3/ Comment détermine-t-on l’âge d’un adolescent, j’imagine que l’évaluation est subjective et donc délicate ?
Ce n’est pas simple en effet. (...)
4/ En se présentant à l’AMNA, les jeunes ne sont pas obligés de se soumettre aux relevés de leurs empreintes et de passer par le fichier AEM ?
Pour faire reconnaître leur minorité, les jeunes migrants arrivant en France doivent passer par une nouvelle procédure de plus en plus utilisée : le fichier AEM (Appui à l’évaluation de la minorité). Ce système implique de passer par la case préfecture dès l’arrivée dans le département. Les craintes des associations ? Que le préfet ne place un jeune en centre de rétention avant tout recours.
Non, les jeunes ne sont absolument pas obligés de passer par le fichier AEM. (...)
5/ Présenter des papiers d’identité ou un extrait d’acte de naissance ne suffit pas à obtenir une réponse positive de l’AMNA ?
Les pièces d’identité et les actes de naissance sont des éléments qui nous aident évidemment, ce sont des ’indices’ particulièrement importants, mais ils sont pris en compte parmi d’autres.
Idem avec l’apparence physique. (...)
Nous croisons tous les éléments d’un récit. Nous cherchons à savoir quelle est la composition familiale, la scolarité de la personne évaluée. Nous faisons aussi un important travail de recherche sur les pays d’origine. La scolarité n’est pas la même dans tel ou tel pays. On apprend à nos évaluateurs à utiliser les repères des jeunes et à ne pas se baser sur nos références à nous.
Nous travaillons aussi avec des traducteurs, par téléphone ou physiquement. (...)
5/ Ce n’est pas vous qui prenez la décision finale mais la Ville de Paris...
Oui, à la fin de chaque évaluation, un rapport est écrit. L’évaluateur va débriefer avec un coordinateur. Ce rapport est relu par une tierce personne. Un deuxième entretien est même possible en cas de doute sur certains éléments d’un récit, ce que nous appelons un "entretien complémentaire".
Ensuite, à la fin de l’évaluation, nous émettons une conclusion qui plaide ou ne plaide pas en faveur de la minorité d’un jeune. C’est ensuite la Ville de Paris qui étudie les dossiers que nous leur transmettons et prend la décision finale. (...)
6/Que se passe-t-il une fois que le jeune reçoit la réponse ?
L’AMNA remet la décision de la Ville de Paris aux jeunes. En cas de réponse positive, le jeune est donc reconnu mineur. Il va patienter dans son foyer parisien le temps de lui trouver une place sur le territoire national. (...)
7/ Quel est le profil des jeunes que vous recevez ? (...)
Les jeunes filles ont généralement un parcours émaillé d’événements traumatogènes, elles représentent plus des deux tiers des consultations psychologiques à l’AMNA. Elles sont hélas davantage victimes de traites, de prostitution forcée, d’agressions. (...)