
L’Allemagne mise sur de nouveaux centres de retours, actuellement en phase de test, dans le but d’accélérer le transfert des demandeurs d’asile dans le cadre du règlement de Dublin. InfoMigrants s’est rendu à Eisenhüttenstadt, où se trouve l’un de ces centres.
Les autorités allemandes ont ouvert deux "centres Dublin". L’un dans la ville de Hambourg, au nord du pays, l’autre dans la ville d’Eisenhüttenstadt, dans l’est, près de la frontière polonaise, au début de l’année. Ils ont pour but d’accélérer le retour des migrants censés être expulsés en vertu du règlement de Dublin, qui détermine le pays responsable du traitement d’une demande de protection internationale en Europe.
En juin, des personnes hébergées dans le centre d’Eisenhüttenstadt ont dénoncé leur situation dans une lettre ouverte, confirmant les critiques formulées par les associations de défense des droits de l’homme.
"Sur notre carte plastifiée figure un D qui signifie Dublin. Tout le monde sait que nous sommes les futurs expulsés vers la Pologne. Nous sommes traités différemment des autres dans le camp. Nous nous sentons séparés dans le camp Dublin. C’est une honte pour nous", explique la lettre. (...)
Nouvelles mesures visant à restreindre la liberté de circulation
Le gouvernement allemand a adopté le mois dernier deux projets de loi prévoyant de nouvelles restrictions en matière d’asile.
Il s’agit notamment de donner aux Länder - les 16 régions qui composent l’Allemagne fédérale - le pouvoir d’ouvrir davantage de centres Dublin et de restreindre la liberté de circulation des personnes dont la demande d’asile a été rejetée. Ces projets de loi doivent encore être examinés par le Parlement. (...)
"Il y a un grand débat politique sur la création de centres similaires dans toute l’Allemagne", observe Wiebke Judith, l’une des porte-parole de ProAsyl, une organisation allemande de défense des droits des migrants.
"Nous sommes préoccupés par la multiplication des centres qui pratiquent une forme de ségrégation en fonction du statut", explique Mme Judith. "Plus les personnes sont isolées, plus elles sont soumises à un stress psychologique."
Le règlement de Dublin
Le règlement de Dublin stipule qu’une personne doit déposer sa demande d’asile dans le premier pays par lequel elle est entrée dans l’Union européenne. Ces pays sont généralement ceux qui se trouvent aux frontières extérieures de l’UE, comme l’Italie ou la Pologne.
L’Allemagne, géographiquement entourée de pays signataires de Dublin, a fait le plus grand nombre de demandes de transfert au titre du règlement de Dublin l’année dernière, selon Eurostat.
Mais moins de 8 % des quelque 74 500 demandes ont abouti à une expulsion. Cet écart est dû à la réticence ou au refus de certains membres de l’UE de reprendre des demandeurs d’asile. Il arrive aussi que des tribunaux bloquent des expulsions en raison des mauvaises conditions d’accueil constatées dans le pays de retour. (...)
En Allemagne, les retards bureaucratiques peuvent rendre difficile le respect du délai de six à 18 mois pour le transfert d’une personne. Or, au-delà de ce délai, les autorités allemandes doivent traiter la demande, selon les experts politiques.
"L’hébergement centralisé facilite le suivi des personnes concernées et simplifie les procédures telles que la notification des décisions concernant leur dossier", avait déclaré en février le ministère de l’Intérieur du précédent gouvernement.
Les centres de retour Dublin ont également pour objectif de garantir que les personnes concernées ne bénéficient pas des prestations sociales accordées aux demandeurs d’asile ordinaires. (...)
"L’idée est d’abaisser les normes"
Le placement de personnes "dublinées" dans des centres spéciaux risque toutefois d’aggraver la détresse de personnes souvent déjà vulnérables. "Je ne pense pas que cela aura beaucoup d’effet, très honnêtement. Je pense qu’il s’agit d’une politique symbolique. C’est juste pour montrer que quelque chose est fait", estime Bernd Kasparek, chercheur en migration à l’université Humboldt de Berlin. (...)
Une "preuve du dysfonctionnement total de la législation européenne"
À Eisenhüttenstadt, le centre Dublin consiste en un bâtiment dédié dans l’enceinte d’un centre d’accueil ordinaire. Le bâtiment est consacré aux demandeurs d’asile qui ont déjà demandé une protection internationale en Pologne voisine. Ces personnes sont identifiées au moment d’arriver en Allemagne grâce à l’Eurodac, une base de données biométrique centralisée, qui stocke les empreintes digitales des demandeurs d’asile dans toute l’UE.
"Cela fait du centre d’Eisenhüttenstadt un modèle à suivre pour tous les autres Länder", indique le communiqué du gouvernement. (...)
Cela n’empêche le directeur du centre d’Eisenhüttenstadt, Olaf Jansen, de concéder que le système n’a pas été très concluant jusqu’à présent. Sur les 75 personnes hébergées dans le centre depuis mars, seules cinq ont été expulsées vers la Pologne, dont quatre sont revenues en Allemagne et ont déposé une nouvelle demande d’asile.
"Cet instrument est loin d’être efficace et constitue une nouvelle preuve du dysfonctionnement total de la législation européenne", explique Olaf Jansen dans une réponse par écrit à InfoMigrants.
"Avant que l’on puisse développer les centres Dublin, il faut une nouvelle législation qui garantisse que les décisions de retour puissent être exécutées et respectées. Tant que ce n’est pas le cas, les centres Dublin ne changent rien." (...)
"Nous vivons dans une anxiété permanente"
Les personnes passées par un centre Dublin sont réticentes à parler aux journalistes. Un ressortissant soudanais ayant séjourné dans le centre en mars a toutefois accepté de témoigner, mais à condition de rester anonyme.
Se confiant à InfoMigrants à Berlin, il a décrit un cadre plus restrictif que le reste du camp, une surveillance accrue et une "vie dans l’anxiété".
Expulsé vers la Pologne depuis le centre Dublin d’Eisenhüttenstadt en avril, l’homme est revenu en Allemagne le jour même et a finalement été accueilli par une paroisse locale qui lui a offert l’asile religieux.
Son témoignage fait écho à la lettre ouverte de juin dénonçant le nouveau centre. "Nous souffrons et vivons dans la peur et l’angoisse constantes d’être expulsés, en raison des visites fréquentes et inopinées de la police", pouvait-on lire dans cette lettre. (...)