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La metteuse en scène Aurore Fattier invite des élèves en lycée agricole à s’interroger sur leurs relations aux animaux à travers un spectacle qui fait dialoguer leurs témoignages avec des œuvres philosophiques et littéraires.
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« Créer un spectacle accessible aux enfants »
Objectif : documenter au plus près les relations que les jeunes Normands entretiennent avec les animaux qu’ils côtoient. Avant cela, la petite troupe a déjà posé ses sacs dans les lycées agricoles de Thury-Harcourt et de La Cambe. L’artiste a développé au cours de ces séjours une pratique d’entretiens et d’ateliers, déjà mise en œuvre dans le premier épisode consacré au pistage des animaux sauvages créé en février et mars 2024 dans le Grand Est. (...)
« Je voulais aussi créer un spectacle accessible aux enfants, ajoute-t-elle. C’est comme ça que je me suis dit qu’il serait intéressant de faire parler les habitants de leurs relations aux animaux. » (...)
Dans la pièce finale, ces témoignages viendront dialoguer avec un corpus de textes philosophiques, pour certains destinés aux enfants, sur ce qui nous lie aux non-humains : Et si les animaux écrivaient (Bayard, 2022) de Vinciane Despret, Pister les créatures fabuleuses de Baptiste Morizot (Bayard, 2019), Apprendre à voir (Actes Sud, 2021) d’Estelle Zhong Mengal… De quoi formuler de manière explicite et radicale toute la complexité de cette relation. (...)
« J’ai passé un moment heureux à vivre avec les animaux, raconte la première, en évoquant son remplacement dans un élevage de chèvres. C’est difficile à exprimer parce que c’est quelque chose de corporel, d’incorporé, d’affectif : les animaux le matin, les odeurs dans la bergerie, le toucher… Ça m’a happée. C’est ce que je défends dans l’élevage. »
« La question est abyssale, elle ressemble à un vertige : qui es-tu, toi, pour faire couler le sang des bêtes ? Il n’est pas possible de créer un lien de maître à élève quand l’un des deux va se faire égorger », lui rétorque la seconde.
Le propos est explosif dans un établissement où la plupart des élèves sont fils et filles d’éleveurs et se destinent eux-mêmes à l’élevage. Pas question pour autant de se montrer violent ou moralisateur, insiste Aurore Fattier : « Le début du spectacle est consacré à l’habitat des animaux, inspiré du très beau texte de Vinciane Despret, Le Chez-soi des animaux (Actes Sud, 2017). C’est un spectacle tout public. Je voulais donc qu’il soit très tendre et que les questions restent ouvertes, soient lancées sans que personne ne se sente agressé. Surtout qu’il va être essentiellement joué dans des lycées agricoles. » (...)
Pour les enseignants, cette résidence est une occasion supplémentaire d’aborder les questions éthiques qui entourent l’élevage. (...)
« Ces questions sont au cœur de nos pratiques pédagogiques, poursuit l’enseignante, car nos élèves se trouvent coincés dans un paradoxe : se confronter à la mort des animaux, alors qu’ils sont dans une relation très sensible avec eux et la nature en général. » (...)
« C’est comme s’il y avait une grande dichotomie entre une hypersensibilité aux animaux assortie d’une forme de misanthropie — on a entendu une élève dire qu’elle comprenait mieux et s’entendait mieux avec les animaux qu’avec les humains — et une occultation complète des débats sur la mort, la viande, le végétarisme, alors que ces animaux sont élevés pour être tués. C’est une forme d’impensé », observe Aurore Fattier.
Son spectacle, dont la Première aura lieu le 28 mars à 20 h 30 à Noues de Sienne (Calvados) et tournera jusqu’à fin juin dans le département, contribuera peut-être à éclairer encore un peu plus ce paradoxe.