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Et pour la première émission j’ai voulu inviter Julie Pagis. Parce que son livre, Le prophète rouge, qui sort à cette rentrée, m’a passionné, scotché. En quelque mot : tout au long des années 70, un type, charismatique, Fernando, tient sous sa domination un groupe de couples militants. Ils et elles s’établissent en usine, puis vivent ensemble dans un bâtiment à Clichy, construisent un projet émancipateur, essaient de changer pour devenir meilleurs et construire un monde qui le soit aussi. Mais en pratique, rapidement ils et elles se déchirent, s’excluent, souffrent, pètent les plombs.
Julie Pagis a mené en socio historienne une enquête acharnée (ses proches l’appelaient commissaire Pagis), avec des entretiens, des sources fabuleuses, pour comprendre par quels processus, quels moyens s’exerçait la domination charismatique, et comment les « encharismé.es » s’y faisaient prendre, participaient à ces violences. Au delà de l’histoire du « groupe de Clichy », ce livre interroge la domination charismatique en milieu militant, et cherche à comprendre comment naissent les monstres dans les milieux progressistes. Ça vous dit ? Mathilde Larrere
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– (Les Inrocks)
“Le Prophète rouge” de Julie Pagis : un grand livre d’histoire sociale et politique sur la manipulation
(...) Dépendance
Une expérience communautaire banale chez les militant·es maoïstes de l’époque, sauf que dans le récit précis et documenté qu’elle fait de l’engagement d’un groupe dirigé par un certain Fernando qui emménagea en 1976, dans un ancien couvent de Clichy-la‐Garenne, dénommé le “Bâtiment”, un mystère insondable se pose : comment et pourquoi un homme, doué d’un charisme évident, a-t-il pu exercer sur un groupe d’individus éclairés une autorité sans partage pendant près de dix ans ? Au point de sacrifier leur vie privée pour la cause militante ; au point de subir la “radicalisation d’une ascèse purificatrice”, de renoncer à leurs manières d’être, d’agir et de penser, de se soumettre à la domination rhétorique d’un homme au passé sulfureux ; au point de céder à la logique de contrôle et de surveillance généralisée, de sombrer dans un “état somnambulique” et une “dépersonnalisation” de soi .
“Après qu’ils avaient renoncé à leur indépendance financière et résidentielle, l’escalade des exigences de loyauté imposées par Fernando avait conduit les membres du groupe à une dépendance à l’organisation non plus seulement matérielle, mais symbolique et affective”, souligne l’autrice.
Une enquête au long cours
Au fil d’un travail documentaire qui l’a occupée sept ans, en retrouvant les ancien·nes militant·es, en plongeant dans des archives, dignes d’une enquête policière, Julie Pagis interroge le sens de cette communauté, proche de ce que le sociologue Erving Goffman appelait “l’institution totale”, sauf qu’ici la communauté charismatique ne reposait sur aucune règle ni aucune hiérarchie stabilisée, “mais sur le pouvoir, arbitraire, d’un seul homme”. (...)