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France TV Info
Deux ans après le scandale Orpea, des manquements persistent dans certains Ehpad du groupe
#Ehpad #orpea #emeis
Article mis en ligne le 27 mai 2024
dernière modification le 25 mai 2024

Si la nourriture n’est plus rationnée, la cellule investigation de Radio France a découvert que des protections contre l’incontinence le sont parfois encore, tandis que la pratique des faux contrats semble continuer.

En janvier 2022, la France découvrait, effarée, comment Orpea, le fleuron français des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) privés, traitait ses résidents. Le livre de Victor Castanet Les Fossoyeurs (Fayard 2022) dénonçait des maltraitances, une course au profit, un usage abusif des fonds publics et des manquements dans la gestion des personnels. Depuis, de multiples enquêtes judiciaires ont été ouvertes. Deux anciens dirigeants ont été placés en détention provisoire. Et l’action est tombée à un centime d’euros. Menacé par une dette colossale de dix millions d’euros, Orpea a été sauvé de la faillite grâce à un plan de sauvetage soutenu, notamment, par la Caisse des dépôts et consignation. Une cinquantaine de membres de l’ancienne direction ont quitté le groupe. Orpea a changé de nom. Il est devenu Emeis (ce qui veut dire “nous” en grec).

Une alimentation plus conforme (...)

Une amélioration confirmée par le nutritionniste Stéphane Walrand, professeur à l’université Clermont-Auvergne. Après avoir consulté les menus d’Emeis couvrant plusieurs semaines, il constate que "s’il n’y a pas de protéines en entrée, il y a un dessert qui en contient, sous forme d’œuf dans une pâtisserie".

Emeis a aussi organisé une formation de deux jours chez Ducasse, pour que ses chefs puissent aider les résidents à retrouver le plaisir de manger. (...) "On n’arrive pas à les mettre en pratique parce qu’on manque de temps. Le week-end, il y a juste une personne en cuisine. On est seuls pour préparer les plats des 70 résidents." (...)

Pour financer cette évolution, "le budget alimentation a été augmenté de 35% en deux ans", explique Laurent Guillot, le directeur général du groupe. "C’est bien plus que l’inflation alimentaire", poursuit-il. Mais dans les faits, ce chiffre est à relativiser. Car avec l’inflation, en 2023, le prix des carottes a augmenté de 40%, celui des œufs et des produits laitiers de 20%. À cela s’ajoutent les effets de la loi Egalim qui oblige la restauration collective, donc les cantines des Ehpad, à acheter des produits locaux. "Les produits sont meilleurs, mais beaucoup plus chers, affirme le cuisinier. Donc même si on a eu 35% d’augmentation de budget, on est revenu à peu près à la situation d’avant", conclut-il.

Moins de couches pour les résidents sans famille (...)

cette mauvaise gestion des stocks se poursuit, notamment dans la résidence "Le Clos de l’Oseraie" à Osny (Val d’Oise). "Tant qu’on n’a pas écoulé le stock, on ne commande pas de protection. C’est une décision de la direction, affirme un salarié. Comme la commande met au moins dix jours pour être validée et livrée, il peut se passer dix jours pendant lesquels on n’a pas de protections adaptées", poursuit-il. (...)

À la résidence "Villa Paul Thomas" au Vernet (Allier), la gestion des couches est encore plus contestable. "La direction nous dit qu’il faut faire attention à ne pas dépasser le budget", explique un autre salarié. La consigne, affirme-t-il, consisterait à traiter différemment les résidents qui n’ont pas de famille (...)

, la direction d’Emeis dément formellement les allégations de rationnement des protections et précise que de telles pratiques sont strictement interdites au sein du groupe.
Des alertes sur des maltraitances ignorées

Selon nos informations, des dysfonctionnements graves ont été signalés à plusieurs reprises ces derniers mois dans plusieurs établissements, sans qu’une suite y ait été donnée. Cela s’est produit à la Résidence "Les jardins du Mazet" à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) (...)

Parmi les faits qui sont dénoncés, il est notamment fait mention de "traces d’urine séchée et des moisissures sur le matelas d’une résidente". Il est aussi précisé que "les piluliers des résidents ne sont pas mis à jour depuis 15 jours". Une semaine plus tard, une enquête est diligentée par la direction. Elle confirme les dangers signalés et fait une longue série de préconisations, dont l’embauche d’une infirmière coordinatrice. La direction d’Emeis nous a affirmé que tout était rentré dans l’ordre, précisant même que "les journalistes pouvaient venir enquêter sur place" s’ils le souhaitaient.

Autre exemple d’alerte non prise en compte : à l’Ehpad "Le Clos de l’Oseraie", à Osny (Val d’Oise) (...)

Dans ce courrier que nous avons pu consulter, elle dénonce une série de dysfonctionnements, photos à l’appui. Cela va de chutes à répétition, au fait que la pensionnaire n’ait pas été transportée aux urgences, ni ait reçu la visite d’un médecin, ni même bénéficié d’un anti-douleur, alors qu’elle s’était fracturée le poignet et était tombée sur la tête. Selon le même signalement, le personnel aurait par la suite refusé de l’aider à s’alimenter alors qu’elle avait un plâtre. Elle pèse désormais 33 kilos après en avoir perdu neuf depuis son arrivée. (...)

Selon la famille, le personnel aurait refusé régulièrement de l’accompagner aux toilettes, la laissant faire ses besoins dans sa protection. "On a fini par nous donner un rendez-vous chez un médiateur fin mai, enrage une des filles de la résidente. Mais est-ce que cela va enfin changer quelque chose ?" Sur ce point, la direction d’Emeis reconnaît que "la situation est connue de l’établissement et qu’une analyse des causes a été réalisée afin qu’une telle situation ne se reproduise plus". Précisons que depuis 2022, des formations sur la bientraitance et la prévention de la maltraitance ont été mises en place.
Des consignes de non-remplacement

Selon de nombreux salariés interrogés, certaines situations de maltraitance pourraient être générées par "le manque de remplacement des personnels absents". Cette pratique était déjà dénoncée par le rapport de l’Igas en 2022. Selon Moïse Audiau, aide-soignant et élu Force Ouvrière (FO) du personnel, "la situation ne s’améliore pas. Les directeurs régionaux donnent la consigne de ne pas remplacer les absents". Il estime qu’on "ne peut pas effectuer les soins de façon optimale. On va tomber dans la maltraitance. Et on épuise le personnel." Certains aides-soignants expliquent ne pas avoir le temps de donner des douches tous les jours aux résidents. D’autres, ne pas pouvoir coucher 20 personnes en une heure le soir, ce qui les conduit à laisser les pensionnaires dans leur fauteuil avant que l’équipe de nuit arrive. Des situations que la direction conteste. (...)

L’élu affirme par ailleurs que l’an dernier, comme "un nouveau logiciel de paye ne fonctionnait pas, les CDD n’ont pas touché leur salaire pendant au moins trois semaines. On a perdu beaucoup de vacataires à cause de ça".

Une quarantaine de "faux contrats"

La cellule investigation de Radio France a par ailleurs découvert que la pratique dite des “faux contrats” semble perdurer chez Emeis. Des CDI fantômes, en quelque sorte, sont toujours fictivement déclarés dans certains établissements. (...)

La direction d’Emeis affirme par ailleurs qu’il "ne s’agit en aucun cas de faux contrats visant à détourner des dotations publiques". La dotation annuelle des pouvoirs publics est fixée en fonction du nombre de résidents présents pour couvrir leurs besoins de prise en soin. Le recours supplémentaire à des CDD ne fait en aucun cas varier cette dotation".

Selon nos informations, la consigne de cesser ces pratiques a bien été relayée le 2 mai 2024, lors d’une visio-conférence entre la direction et les directeurs régionaux. Nous avons pourtant encore trouvé un contrat portant un faux nom signé le 4 mai. Le message n’est donc apparemment pas passé partout. (...)