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Mediapart
« Dès la fin de la cérémonie de clôture, les problèmes reviennent »
#JO2024
Article mis en ligne le 14 août 2024
dernière modification le 12 août 2024

L’historienne Sandrine Lemaire est co-commissaire de l’exposition « Olympisme, une histoire du monde » au palais de la Porte-Dorée, à Paris. Elle replace cette « parenthèse enchantée » qu’ont semblé être les Jeux olympiques de Paris dans la longue histoire des olympiades, entre conflits géopolitiques, nationalisme et exploits sportifs. (...)

La très belle exposition « Olympisme, une histoire du monde », qui peut être visitée jusqu’au 8 septembre au palais de la Porte-Dorée, à Paris, permet de découvrir ces aspects oubliés des JO. À la fois les exploits sportifs et la face sombre des olympiades. Tout en se posant la question de l’avenir de telles compétitions en pleine catastrophe climatique. (...)

Sandrine Lemaire : Il s’agit d’un méga-événement médiatique. Tous les regards se sont tournés vers Paris. D’un point de vue politique, cela a offert un répit au gouvernement démissionnaire après une crise importante où les votes de contestation l’ont remis en cause, notamment ceux de l’extrême droite.

L’objectif de la France en réussissant ces Jeux est de montrer qu’elle reste une grande puissance. Cette diplomatie de la reconnaissance n’était pas si évidente en raison des questions de sécurité. En effet, une option compliquée avait été choisie dans la mesure où, pour la première fois, la cérémonie d’ouverture n’était pas concentrée dans un stade, ce qui accroissait les risques.

Si l’on regarde l’histoire des JO, cet enjeu sécuritaire a pris de l’importance à partir de 1972, avec l’attentat sanglant contre la délégation israélienne (onze morts) après la prise d’otages menée par un commando de l’organisation palestinienne Septembre noir. Depuis, le budget alloué à la sécurité n’a cessé d’augmenter, et cela n’a fait que se renforcer après les attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis, passant de 80 millions à 1,5 milliard entre 1984 à Los Angeles et 2004 à Athènes. (...)

Il faut souligner cependant que l’on a très peu entendu parler des gestes politiques de la part des athlètes. Bien qu’interdits par la charte olympique, on en relève plusieurs. Le judoka algérien Messaoud Redouane Dris a refusé de combattre contre un adversaire israélien, Tohar Butbul. Officiellement, il a raté sa pesée pour 400 grammes de trop et a été disqualifié, mais personne n’y a cru. On a vu également la coureuse afghane Kimia Yousofi arborant sur son dossard en anglais « Éducation, sports, nos droits » et brandissant son message devant les caméras. Son geste a été loué et il rappelle que les Jeux olympiques sont une caisse de résonance médiatique incroyable pour relayer un combat, qu’il soit politique, environnemental, religieux…

Enfin, hors compétition, pendant la cérémonie d’ouverture, la délégation algérienne a jeté des roses rouges dans la Seine au passage du pont d’où avaient été jetés des partisans du Front de libération nationale en octobre 1961 afin de leur rendre hommage. Ces gestes « volés » sont donc soit tus, soit mis en exergue, selon qu’ils servent la diplomatie. (...)

les JO sont instrumentalisés par tous les pays organisateurs, pas seulement les dictatures. (...)

Grâce aux archives, on a pu découvrir que des athlètes états-unien·nes étaient missionné·es pour aller convaincre celles et ceux du bloc de l’Est de ne pas repartir lorsque les olympiades avaient lieu à l’extérieur des pays du bloc soviétique et de choisir l’exil. En leur promettant une protection économique, un travail, etc. L’idée était de montrer la supériorité du monde libre face au système communiste. (...)

Et pour 2024 ?

Comme pour toutes les éditions, le « sport power » et donc l’instrumentalisation se sont d’abord vus au moment de la cérémonie d’ouverture. Elle a été dominée par le thème de la diversité et a mis en avant l’idée d’une France ouverte, ce qui n’est évidemment pas le cas si on regarde le résultat des élections quelques semaines auparavant. On voit aussi la volonté de mettre en avant la grandeur de la France, mais cela n’est pas atypique, car on la retrouve à chaque olympiade. Et puis il existe aussi cet objectif plus géopolitique de redonner du lustre au chef de l’État et au gouvernement. Objectif raté, en raison des résultats des législatives. (...)

N’y a-t-il pas un paradoxe à vouloir accueillir le monde tout en alimentant un certain chauvinisme ?

C’est en effet antinomique, mais on retrouve ce paradoxe dès le début. (...)

On semble assister à une parenthèse enchantée aux JO de Paris, après avoir vécu une crise politique marquée par des discours sur la « guerre civile » (Emmanuel Macron). Est-ce le propre des JO de permettre ce genre de trêve ?

Cela est propre à toute compétition sportive. Donner du pain et des jeux à la population permet de faire oublier les problèmes du quotidien. La particularité des JO actuels est leur organisation sur un temps très court, alors qu’au début cela pouvait durer plusieurs mois. C’est du concentré. (...)

C’est ce qui fait la spécificité des Jeux olympiques et donne naissance à ce sentiment de concorde. Mais ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’une parenthèse éphémère. Dès la fin de la cérémonie de clôture, les problèmes reviennent. Pendant cette parenthèse, on ne se pose pas la question de qui gouverne. Les médias aussi participent à ce sentiment en se focalisant exclusivement sur cet événement. (...)

Que ce soit aux États-Unis, en Allemagne ou en Australie. On voit donc bien que les Jeux ne sont pas acceptés de prime abord par la population. Pour l’avenir, on peut envisager une présence de l’e-sport, une organisation sur plusieurs continents. Dans l’exposition, nous nous demandons si les publics seront réunis virtuellement ou si les catégories masculine, féminine, olympique, paralympique seront encore de mise. C’est aussi l’évolution de la société qui donnera naissance aux nouveaux JO.