
Selon les informations de Mediapart, la préfecture des Pyrénées-Atlantiques a été alertée dès 1993 d’un grave cas de violence physique : un surveillant a perforé le tympan d’un élève. François Bayrou, alors ministre de l’éducation et président du département, n’avait pas réagi.
(...) On découvre désormais que l’école Notre-Dame-de-Bétharram avait déjà été condamnée par la justice en 1993, à une époque où François Bayrou était déjà ministre de l’éducation nationale et président du conseil général, à indemniser un élève qui avait, lui aussi, reçu des coups sur la tête de la part d’un surveillant. L’adolescent en question, Jean-Baptiste*, alors âgé 13 ans, a eu le tympan perforé. (...)
Les faits se sont déroulés le 24 juin 1993, autour de 20 h 50, dans le dortoir du collège, et les blessures ont été constatées le lendemain par un ORL de Pau, qui a conclu à une incapacité totale de travail (ITT) de huit jours en raison d’une « perforation postéro-inférieure tympanique », d’après les documents consultés par Mediapart.
Un mois plus tard, un second médecin constatait que la cicatrisation de la plaie n’était toujours pas effective, et Jean-Baptiste devait continuer d’être soigné. Dans ce contexte, le tribunal de grande instance de Pau condamne, le 2 décembre 1993, Notre-Dame-de-Bétharram à verser une provision de 10 000 francs (environ 2 500 euros) au père de la victime pour les blessures occasionnées, dans l’attente d’expertises complémentaires pour une évaluation précise du préjudice.
C’est à ce moment-là que l’État est officiellement alerté de l’affaire : l’établissement catholique saisit directement le préfet des Pyrénées-Atlantiques, Jean-François Denis, pour que l’État participe à l’indemnisation. Cette demande pour le moins audacieuse est formulée par le directeur de l’établissement, le père Carricart (lequel sera ensuite directement mis en cause pour des viols), qui développe le raisonnement suivant : le collège étant lié à l’État par un contrat d’association, la responsabilité de l’État peut se substituer à celle des personnels de Notre-Dame-de-Bétharram.
Sollicité par Mediapart pour savoir ce qu’il est advenu de cette saisine, la préfecture des Pyrénées-Atlantiques ne nous a pas répondu à l’heure du bouclage de cet article.
Bayrou, président du département
Quoi qu’il en soit, cette sollicitation prouve qu’en 1993, alors que François Bayrou est ministre de l’éducation nationale depuis déjà neuf mois et préside le conseil général, l’État est informé des violences dans l’établissement où travaille aussi l’épouse de l’élu le plus puissant du Béarn. Pourtant rien ne se passe, ni au niveau du rectorat ni au niveau des services de protection de l’enfance (sous la responsabilité du président du conseil général).
Il faut attendre 1996 pour que, à la faveur d’une nouvelle affaire de violences, les services réagissent à la médiatisation de l’affaire. (...)
l’inspecteur d’académie des Pyrénées-Atlantiques de l’époque, Pierre Polivka (engagé à l’UDF, le parti de François Bayrou), annonce publiquement en avril 1996 qu’un contrôle va être réalisé, tout en expliquant d’emblée que son rôle est de « veill[er] sur la qualité de l’enseignement pédagogique » et « s’arrête là ». (...)
L’inspecteur mandaté pour cette mission rend un pseudo-rapport de trois pages en se rendant une demi-journée sur place – il a d’ailleurs reconnu trente ans plus tard, le mercredi 19 février 2025, que ce travail n’était ni fait ni à faire. « J’ai fait un rapport qui ne tient pas la route actuellement », a-t-il admis auprès de la cellule investigation de Radio France. Le document ne mentionne même pas l’affaire de 1993, survenue trois ans plus tôt.
Mais ce rapport indigent permet à François Bayrou de se rendre à Notre-Dame-de-Bétharram, le 4 mai 1996, pour défendre l’établissement. (...)
d’autres archives de presse retrouvées par Mediapart montrent que le ministre-président du département-parent d’élèves ne pouvait ignorer d’autres cas évoqués publiquement, y compris au niveau national.
Au moins quatre élèves au tympan perforé
La presse écrite mais aussi les télévisions et les radios nationales documentaient alors ces violences « fréquentes » et des « traitements inhumains » nombreux sur les élèves de Bétharram. (...)
Personne, donc, ne pouvait ignorer cette affaire « d’ampleur nationale » qui a provoqué « un déchaînement médiatique ». Ni le rectorat ni le ministère de l’éducation nationale.
D’ailleurs, Bétharram « bénéficiait de comités de soutien créés aux quatre coins du Sud-Ouest ». On comptait alors à la tête du mouvement Serge Legrand, l’avocat de l’institution et proche d’un certain François Bayrou. Ou même son suppléant à l’Assemblée nationale, Pierre Laguilhon, devenu député lorsque François Bayrou a été promu ministre. Trente ans plus tard, pourtant, l’actuel premier ministre a juré à six reprises tout ignorer.