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Déni, mensonges : Mediapart décrypte l’audition de François Bayrou
#Betharram #Bayrou #Mediapart #AssembleNationale
Article mis en ligne le 17 mai 2025
dernière modification le 16 mai 2025

La présidente PS de la commission d’enquête sur les violences à l’école, Fatiha Keloua-Hachi, revient dans « À l’air libre » sur l’audition « irritante » du premier ministre mercredi à propos de l’affaire Bétharram. Elle se dit décidée à agir si la commission s’aperçoit d’un faux témoignage sous serment.

MercrediMercredi 14 mai, le premier ministre François Bayrou a passé cinq heures et demie devant les députés de la commission d’enquête sur la prévention des violences dans l’enseignement, créée après plusieurs articles de Mediapart révélant les mensonges de François Bayrou et les alertes qu’il a reçues dès le milieu des années 1990 à propos de l’établissement catholique Notre-Dame-de-Bétharram, près de Pau.

Plus de 200 anciens élèves ont déposé des plaintes pour violences physiques ou sexuelles pour des faits allant de 1950 à 2010.

Une audition où l’homme le plus puissant et le plus informé du Béarn depuis des décennies a dit ne pas avoir été alerté au-delà des articles de presse.

Quelles leçons retenir de cette audition ? Comment répondre aux milliers de victimes qui exigent des mesures pour empêcher les violences dans les établissements catholiques privés ?

« Quand on ne dit pas la vérité devant la représentation nationale, à quoi sert-on ? », commente la présidente de la commission d’enquête sur notre plateau. Elle affirme que le premier ministre a déjà menti « à trois reprises devant l’Assemblée nationale » depuis nos révélations en février. Elle répond par l’affirmative quand on lui demande si François Bayrou a « manqué de respect au Parlement » lors de son audition.

Elle se dit « choquée » des attaques du premier ministre contre la professeure Françoise Gullung, « la seule à avoir dit la vérité et dénoncé la violence » à Bétharram dès le milieu des années 1990.

Nos invité·es :

  • Mathilde Goanec, responsable du pôle société et éducation à Mediapart ;
  • David Perrotin, journaliste au pôle enquêtes de Mediapart, co-auteur avec Antton Rouget des enquêtes sur Bétharram et François Bayrou ;
  • Fatiha Keloua-Hachi, députée socialiste de Seine-Saint-Denis, présidente de la commission d’enquête sur les violences à l’école.

Une émission préparée par Mathieu Magnaudeix, David Perrotin et Mathilde Goanec, et présentée par Mathieu Magnaudeix.

Voir la video sur Invidious (pas ou peu de pistage)⬇️

Lire aussi :

 François Bayrou auditionné à l’Assemblée : après trois mois de mensonges, cinq heures de déni

Pour ne pas admettre ses multiples mensonges dans l’affaire Bétharram, le premier ministre s’est posé en victime et a expliqué avoir raison, seul contre tous. Lors d’une défense laborieuse, mensongère et violente, il a attaqué la presse, la commission d’enquête et une lanceuse d’alerte.

EnEn s’installant à l’Assemblée nationale, François Bayrou pose un ouvrage en évidence : le livre-enquête La Meute sur La France insoumise. Il n’est pas encore questionné par la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les établissements scolaires qu’il donne déjà le ton de son audition. Le premier ministre serait donc victime d’une meute. Depuis trois mois, et nos premières révélations, il serait tout à la fois victime d’attaques de LFI, de la commission d’enquête parlementaire et de la presse. « Il s’agissait de me coincer pour m’obliger à démissionner », accuse-t-il.

Pendant plus de cinq heures, le premier ministre s’embrouille, enfume la commission, attaque à tout-va et tient son objectif : faire oublier qu’il était bien informé de faits précis sur les violences à Notre-Dame-de-Bétharram en 1996 et en 1998. Stratégique, François Bayrou veut réduire cette audition à un interrogatoire entre le corapporteur et député LFI Paul Vannier, « un militant cruel » dont il fustige à chaque réponse « les méthodes », oubliant que cette commission est transpartisane, votée à l’unanimité par tous les groupes politiques. Il sait qu’il est questionné pour savoir s’il a fait le nécessaire pour protéger les enfants de Bétharram de violences en tout genre, mais le Premier ministre le répète en boucle : il serait ici parce qu’il est accusé d’avoir « protégé des pédocriminels ».

Lui qui n’avait pas eu un mot pour les victimes pendant plus d’un an, leur dédie cette fois-ci la commission. « Si ma présence comme cible politique a permis que ces faits apparaissent, ce “#MeToo” de l’enfance, alors cela aura été utile », débute-t-il, avant d’attaquer sans retenue aucune.

Il vise pêle-mêle cette commission « pas objective », la corapporteuse et députée, pourtant de son camp, Violette Spillebout, la presse en général et Mediapart en particulier. (...)

Aucun souvenir, aucun document

La commission enchaîne et l’interroge sur ce qu’il a affirmé le 11 février à l’Assemblée. « Je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences, ou de violences a fortiori sexuelles. Jamais », déclarait le maire de Pau à propos de Notre-Dame-de-Bétharram, cet établissement catholique situé près de Pau et aujourd’hui visé par deux cents plaintes. « Maintenez-vous aujourd’hui sous serment, devant notre commission d’enquête, cette déclaration ? », questionne le député Vannier.

Des documents, des témoignages, des archives montrent que cet élu, le plus puissant localement, ne pouvait rien ignorer. « Je maintiens l’affirmation qui est la mienne. Je n’ai pas eu d’autre information comme ministre de l’éducation nationale que par la presse », répond-il aujourd’hui.

La réponse est habile mais cette affirmation n’a jamais été la sienne. S’il reconnaît désormais avoir été au courant des violences physiques et sexuelles grâce aux nombreux articles de presse publiés sur le sujet à l’époque, c’est une première. Il a toujours prétendu l’inverse. (...)

Il a nié avoir été informé des violences physiques, mais reconnaît aujourd’hui avoir commandé un rapport en 1996 lorsqu’un élève a eu le tympan perforé. Il a nié connaître l’enseignante Françoise Gullung qui disait l’avoir alerté, mais reconnaît avoir pu la rencontrer. Il a nié avoir été informé de violences sexuelles, mais reconnaît l’avoir su par la presse. Il a nié avoir échangé avec le juge saisi d’un dossier de viol, mais avoue l’avoir rencontré.

« Je n’ai bénéficié d’aucune information privilégiée », insiste-t-il malgré tout, démentant avec force avoir obtenu des informations couvertes par le secret de l’instruction et être intervenu en faveur du père Carricart, l’ancien directeur mis en examen pour viol et laissé libre contre toute attente. Devant une salle comble, l’élu explique que trente ans ont passé, qu’il n’a « aucun souvenir de l’époque », « aucun document », mais une certitude : la mémoire des nombreux témoins qui le mettent en cause doit forcément les tromper. En revanche, lui la retrouve subitement lorsqu’il s’agit de les discréditer. (...)

Pour la première fois, il reconnaît que Françoise Gullung a bien pu le rencontrer, lui « dire bonjour », mais explique qu’elle n’a pas pu l’alerter d’une plainte déposée contre le surveillant. Celle-ci a été déposée neuf mois après cette rencontre.

Problème : Françoise Gullung n’a jamais lancé une telle affirmation. À Mediapart et sous serment, l’enseignante a expliqué l’avoir informé de violences physiques, pas de plaintes. « “Monsieur Bayrou, la situation à Bétharram est vraiment grave. Il faut agir.” Il m’a simplement répondu : “On exagère” », peut-on d’ailleurs lire dans le compte rendu de son audition devant la commission. Après son témoignage, d’anciens élèves ont d’ailleurs confirmé ses propos. Le porte-parole des victimes de Bétharram aussi. Alain Esquerre l’a d’ailleurs écrit dans son livre que François Bayrou avait aussi posé en évidence sur la table de son audition. (...)

Les conclusions du rapport remis à François Bayrou en avril 1996 minimisaient les violences mais reconnaissaient de graves sévices. Pourquoi le premier ministre n’en a-t-il pas tenu compte ? « Est-ce que je l’ai lu attentivement ? Sûrement pas », rétorque François Bayrou, qui assure aujourd’hui n’avoir pas consulté ce rapport, fût-il de trois pages et portant sur l’établissement de ses enfants.

Pour François Bayrou, tout le monde se trompe.

Les conclusions du rapport remis à François Bayrou en avril 1996 minimisaient les violences mais reconnaissaient de graves sévices. Pourquoi le premier ministre n’en a-t-il pas tenu compte ? « Est-ce que je l’ai lu attentivement ? Sûrement pas », rétorque François Bayrou, qui assure aujourd’hui n’avoir pas consulté ce rapport, fût-il de trois pages et portant sur l’établissement de ses enfants.

Pour François Bayrou, tout le monde se trompe (...)

Le premier ministre a surtout minimisé les violences physiques à Bétharram, évoquant le contexte des années 1990, provoquant plusieurs réactions et questions des député·es. « Est ce qu’il y avait il y a trente ans, singulièrement dans ces établissements, des méthodes un peu rudes, sûrement oui. Est-ce qu’aujourd’hui elles seraient acceptées ? Sûrement non », déclare-t-il. À l’époque pourtant, on savait déjà que les gifles données à Bétharram étaient si violentes qu’elles pouvaient perforer le tympan. La presse dénombrait quatre cas de ce type en 1996. (...)

À la toute fin de son audition, le premier ministre accuse les député·es de s’en prendre non pas à l’homme politique qu’il est, mais au père d’élève qu’il était. Jamais François Bayrou ne rappelle qu’il était le plus informé de sa région, lui, maire de Pau, ancien président du département et chargé de la protection de l’enfance, ex-député du département et ministre de l’éducation nationale…

« Et pourtant, quand un article en 1996 indique des faits très graves, dans un établissement où vous scolarisez vos propres enfants, vous déclarez “pas vu, pas lu, pas entendu, pas intervenu” ? », interroge le député Alexis Corbière. « À vous entendre, vous n’êtes responsable de rien. Comment expliquez-vous votre faillite dans vos responsabilités ? Car c’étaient les vôtres, de protéger les enfants », ajoute-t-il. À cette question, François Bayrou, cinq heures durant, n’a livré aucune réponse.