
Après l’attentat de la tour Eiffel, un débat parlementaire sur la psychiatrie doit se tenir sous l’impulsion d’élus LR. Le psychiatre Mathieu Bellahsen craint que le pouvoir réponde à un drame par un tour de vis sécuritaire plutôt que par le soin.
Après l’attentat terroriste de la tour Eiffel début décembre et l’annonce d’un « ratage psychiatrique » par Gérald Darmanin, le drame de Meaux (un homme a tué ses quatre enfants et leur mère) a donné l’occasion à Jean-François Copé, maire de cette commune, de s’émouvoir des problèmes psychiatriques dans une tribune intitulée « Maladie mentale : nous sommes tous concernés » et publiée dans l’Express le 3 janvier. Un débat parlementaire devrait se tenir mi-janvier sous l’impulsion des élus Les Républicains. (...)
Ces derniers temps, à chaque histoire dramatique, le traitement médiatique de la psychiatrie renoue avec le sensationnalisme morbide. Il est utile de rappeler que pour des faits similaires, lors des soulèvements intervenus dans les hôpitaux psychiatriques en 2018 et 2019, les médias mettaient d’abord en avant la catastrophe psychiatrique organisée par les pouvoirs publics et les politiques successives. Aux côtés de certains drames inévitables, la croissance des tragédies évitables s’élucidait alors par la destruction du service public psychiatrique, l’abandon des usagers-patients-psychiatrisés et des équipes de soins.
L’explication simpliste du « schizophrène dangereux » à enfermer était moins prégnante. Cette parenthèse débutée sous le quinquennat Hollande s’est refermée avec la circulaire Colomb en mai 2019. Cette dernière coagulait de nouveau les personnes hospitalisées sans leur consentement et les fichés S pour terrorisme.
Dans l’après-Covid, le populisme pénal poursuit son grand retour et la figure du malade dangereux est remise au goût du jour pour contenter les bas instincts des médias bollorisés (...)
Résoudre la crise profonde de la psychiatrie publique
L’été dernier, nous publiions une tribune collective dans Le Parisien après un drame survenu à Annecy où la santé psychique vacillante de la personne était pointée.
Nous rappelions ce simple fait d’expérience : quand la folie n’est ni soignée ni accompagnée, elle peut se transformer en furie. Incriminer le seul déni de la personne, voire de ses proches, est profondément simpliste. (...)
À la fin de l’automne, le ministre de l’Intérieur a évoqué « un ratage psychiatrique » dans l’affaire de l’attentat terroriste de la tour Eiffel. Ces déclarations ont pu à bon compte éluder le ratage des services de renseignement et de l’arsenal juridique qu’ils ont déjà pour contraindre une personne suspecte. Dans cette séquence, les chantres de la macronie ont presque réussi à faire croire au grand public qu’il n’était pas possible d’interner une personne ayant des troubles psychiques et menaçant l’ordre public...
Les contre-vérités, l’incompétence ou la méconnaissance (si ce n’est un cocktail des trois ?) ont permis la tenue de tels propos sur les plateaux télévisés. Il serait impossible pour le pouvoir administratif et policier de contraindre à une hospitalisation quand il y a des troubles psychiques avérés. Cela est faux. Quand la contrainte n’est pas possible, c’est qu’en réalité les troubles psychiques ne sont pas avérés.
Si ratage psychiatrique il y a, l’analyse des causes systémiques est un préalable. (...)
Le ratage systémique, c’est celui des politiques publiques criminelles que nous dénoncions avec le Collectif Inter Urgences en 2019.
Résoudre la crise profonde traversée par la psychiatrie publique serait de ne pas se contenter de réponses de surface comme celles des assises gouvernementales de la santé mentale (septembre 2021) ou des contre-remèdes qui aggravent sans cesse la catastrophe gestionnaire
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Les élus locaux éprouvent la catastrophe psychiatrique
Est-ce une solution de médicamenter de façon massive et de façon quasi incontrôlée des pans de plus en plus larges de la population (prescriptions d’amphétamines chez les enfants, d’anxiolytiques et d’antidépresseurs chez les ados et les étudiants, d’hypnotiques et autres psychotropes dans la population adulte) ? Est-ce là la seule forme de soin possible ? En réalité, ces politiques de santé nourrissent le nihilisme thérapeutique et les pulsions de contrôle et d’emprise des personnes troublées psychiquement. Les solutions simplistes restreignent notre capacité collective à penser un changement profond des affres de nos sociétés.
Dans ce contexte, comment croire qu’un débat parlementaire sur la psychiatrie peut-il être autre chose qu’une farce macabre destinée à faire endosser aux plus malades, aux plus pauvres, aux plus exclus les heurts des politiques publiques et des pratiques de soins délétères de ces dernières années ? (...)
Le plan santé mentale d’Agnès Buzyn et du délégué ministériel à la psychiatrie n’a été qu’un plan de communication pour plateau télé. Il est évident que de plus en plus d’élus locaux, quel que soit leur bord politique, éprouvent réellement la catastrophe psychiatrique sur le terrain. Peut-être sont-ils choqués par les réalités racontées par leurs administrés ?
Peut-être avaient-ils tendance à les ignorer jusque-là : la catastrophe organisée des services publics de santé, dont la psychiatrie publique, l’inflation des déserts médicaux, l’accroissement sans précédent de mesures violentes de soins (surmédicamentation, inflation des contentions et des isolements psychiatriques, délais d’attente insupportables, impossibilité d’être tout simplement soigné quand on est consentant aux soins, impossibilité d’être soigné dignement quand le consentement n’est pas possible…).
Faire avancer collectivement une psychiatrie digne (...)
nous devons faire avancer collectivement, avec toute la complexité requise, une psychiatrie digne et accueillante.
Pour autant, nous devons nous interroger sur leur instrumentalisation possible et sur leur détournement au profit de logiques de renfermement. La suite nous dira dans quel sens penche la balance. Rappelons tout de même que l’entourage du président Sarkozy était aux affaires quand le collectif des 39 se mobilisait contre la nuit sécuritaire à partir du 2 décembre 2008 et du discours d’Antony. (...)
Le débat parlementaire du 17 janvier 2024 avec Éric Ciotti comme coorganisateur et Marine Le Pen en embuscade, est à haut risque pour les personnes les plus malades, pour les libertés fondamentales, pour l’éthique et le secret médical.
Le précédent de l’odieuse loi immigration précise le cadre parlementaire dans lequel risque de se trouver exposés les malades psys. La vindicte populaire n’est pas loin. (...)
Au programme : toujours plus de contraintes aux soins, d’institutions asilaires, de cliniques privées et de psychotropes.
Accueillir plutôt qu’exclure
Débattre sur la psychiatrie sans débattre à partir des pratiques concrètes et des droits des usagers est voué à l’échec et aux impasses dans lesquelles nous sommes collectivement empêtrées. Dans Abolir la contention, j’aborde les sangles psychiatriques de la culture de l’entrave qui sont sources de défiance dans le grand public, parmi les professionnels, au sein de la classe politique et pour les premiers concernés.
Dans le dernier chapitre se trouvent des propositions à différents échelons (...)
Nos parlementaires auront-ils le courage de faire un tel virage politique à 180 degrés ? Accueillir plutôt qu’exclure ?

Lire aussi :
– (Editions Libertalia)
Abolir la contention
Sortir de la culture de l’entrave.
« La contention mécanique n’est pas un soin, elle n’a pas de dimension thérapeutique. Elle est une mesure de contrôle, une pratique d’entrave et d’immobilisation. Son abolition est une première pierre pour une psychiatrie partant des droits effectifs, de l’autodétermination, de la dignité pour toutes et tous. » (...)
La contention mécanique est un traumatism
Le livre dans l’agenda
- Le 20 janvier @ Reims (51)
- Mathieu Bellahsen présente Abolir la contention
- Le 3 février @ Charleville-Mezières (08)
- Mathieu Bellahsen présente Abolir la contention
- Le 4 février @ Bagnolet (93)
- Mathieu Bellahsen présente Abolir la contention
- Le 4 avril @ Tours (37)
- Mathieu Bellahsen présente Abolir la contention