
(...) Le recueil Critical Distater Studies réunit des études portant sur la gestion des risques et des catastrophes dans le monde contemporain, études qui dénoncent la manière dont les catastrophes sont la plupart du temps instrumentalisées et considérées non seulement comme des opportunités pour le marché (tourisme et bâtiment en premier lieu), mais aussi bien souvent comme ce qui justifie des réaménagements du territoire au profit des classes dominantes et au détriment des plus pauvres. À la toute fin de l’ouvrage on trouve un « afterwords » de Kenneth Hewitt, géographe qui a notamment travaillé sur les glaciers himalayens et a publié une excellente synthèse intitulée « Regions of Risk : A Geographical Introduction to Disasters ». Il relève dans cet article l’absence dans les politiques de gestion des catastrophes des désastres causés par l’homme : les famines (que, dans la lignée d’Amartya Sen ou Michael Watts, il considère principalement comme le résultat de politiques agraires et économiques), les catastrophes « industrielles », et les guerres.
Je m’inspire ici de ces remarques (dont on trouvera une traduction rapide ci-dessous) pour me pencher sur la question de la relation de la guerre et du climat. La première chose qui frappe, c’est la manière dont les conflits militaires qu’ils soient extérieurs, entre plusieurs États rivaux, ou internes, dans le cadre d’une guerre « civile », occupent une place « à part » dans la liste des maux qui accablent l’humanité, et ce, comme le rappelle Hewith, malgré leur gravité, le nombre de victimes et la persistance de ses effets sur les populations (et l’environnement). Il est d’ailleurs remarquable que les dégâts causés sur les environnements par l’industrie militaire – car si les bombes tombent du ciel, elles ne sont pas créées ex-nihilo et impliquent, comme n’importe quelle arme, des activités extractives, des émissions carbonées, la manipulation et le rejet de composants extraordinairement toxiques (pensez par exemple au napalm ou au phosphore) –, et que la destruction pure et simple de territoires, dont on dit qu’ils peuvent être « rayés de la carte », avec toutes les conséquences écologiques que cela suppose, sans parler des dégâts à long terme (empoisonnement des sols, des rivières et des fleuves, des habitats humains et non-humains, champs de mines rendant certaines portions du territoire impraticables et inaccessibles à l’activité agricole par exemple), ne soient que rarement évoqués dans la liste des variables à prendre en compte pour évaluer la crise climatique passée, présente et à venir.
Le récit néolibéral qui considérait, après 1945, qu’une compétition économique libérée sur un marché dérégulé devenu mondial aurait rendu obsolète le besoin de se faire la guerre militairement, au sens littéral si l’on peut parler ainsi, s’est avéré n’être qu’un mythe. Ce contexte d’une guerre sempiternelle, qu’elle soit économique ou militaire, adossé à l’exacerbation des nationalismes, constitue une catastrophe pour les populations victimes, passées, présentes et à venir, aussi bien qu’un désastre pour les environnements et pour l’évolution du climat.
Pire encore, par un effet de boucle en quelque sorte, la crise climatique fournit déjà, et fournira plus encore dans le futur, le prétexte ou l’occasion de nouveaux conflits portant sur les disputes liées à l’accès et la disponibilité des ressources (...)