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Pour son deuxième mandat, Donald Trump est décidé à passer au bulldozer en ignorant les limites juridiques constitutionnelles et légales. Entretien avec Heidi Kitrosser, professeure à l’université Northwestern, spécialiste des questions de séparation des pouvoirs et de la liberté d’expression.
Dans un texte écrit en 2022 intitulé La Révolution du papillon, Curtis Yarvin, un des auteurs préférés de la droite tech, imaginait le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Il exprimait cependant des doutes sur la capacité du dirigeant du mouvement Maga (« Make America Great Again ») de véritablement renverser la table à Washington – « Encore une fois, le vrai Donald J. Trump n’aurait jamais le courage de penser à faire cela (et il est trop vieux) », écrivait-il.
Pour atteindre le modèle autoritaire qu’il appelait de ses vœux – « changer l’Amérique autant qu’Atatürk a changé la Turquie » –, Carvin jugeait que Trump devait se contenter d’un rôle de « président du conseil d’administration » et laisser un « PDG » s’occuper des choses sérieuses. (...)
Heidi Kitrosser : Donald Trump et ses sbires ont déjà attaqué la presse de multiples manières. Tout d’abord, quand il était encore seulement un simple citoyen, il a poursuivi ABC et CBS pour des reportages qui lui avaient déplu. Ces poursuites étaient très douteuses, mais maintenant qu’il est président, nous avons déjà vu ABC lui verser 15 millions de dollars pour régler l’affaire, et il semble que la maison-mère de CBS envisage sérieusement de trouver un accord à l’amiable, de crainte que la Commission fédérale des communications (FCC) de Trump ne bloque une fusion en cours.
Il faut ajouter à ce climat d’intimidation les paroles et les actes du président de la Commission fédérale des communications de Trump, Brendan Carr, qui a critiqué CBS et rouvert une enquête au sujet du reportage en question. Deuxièmement, le procureur intérimaire du district de Columbia nommé par Trump a fait des déclarations qui semblent destinées à intimider toute personne, y compris les journalistes, identifiant des individus travaillant sur les efforts secrets et controversés d’Elon Musk pour accéder à des données sensibles dans les agences américaines.
Troisièmement, Donald Trump paraît déterminé à continuer d’utiliser sa position ainsi que les ressources judiciaires des États-Unis pour attaquer la presse et ses sources de diverses manières (...)
La position d’Elon Musk est très effrayante et très préoccupante pour de nombreuses raisons. Selon les révélations des médias, lui et ses jeunes assistants ont accès à des masses d’informations personnelles potentiellement sensibles, ainsi qu’à des informations financières personnelles et institutionnelles.
En même temps, ses activités sont très secrètes et beaucoup de choses sont inconnues. En ce qui concerne les fonctionnaires, l’accès de Musk à leurs informations est en soi très alarmant. En outre, le rôle prétendument joué par Musk dans la recherche des « gaspillages et abus » pourrait servir de couverture aux efforts plus vastes de Trump pour décimer la fonction publique, que ce soit par des licenciements massifs ou par la transformation de postes de fonctionnaires en nominations politiques. (...)
Donald Trump tente de gouverner de manière autoritaire à bien des égards. Le plus saillant est peut-être le fait qu’il passe au bulldozer en ignorant les limites juridiques constitutionnelles et légales existantes, en émettant des décrets ou en déclarant simplement qu’il prendra des mesures qui violent la législation existante ou le droit constitutionnel. (...)
Quelles sont les stratégies possibles pour faire face aux politiques de Donald Trump ?
La réponse face à une telle attaque doit être multiple. Nous avons besoin de journalistes, d’experts et de citoyens ordinaires qui témoignent de ce qui se passe, qui expliquent ce qui se passe, qui expliquent quand et comment cela viole les lois et les normes existantes et à quel point c’est très dangereux. (...)
En outre, il est essentiel d’engager des poursuites pour contester les actions illégales de Trump, même si cela ne suffit pas. Le contrôle par le Congrès est également crucial. Je pense également que dans n’importe quel système véritablement sain, Trump aurait déjà été mis en accusation et démis de ses fonctions pour les nombreuses violations de l’intérêt public qu’il a commises depuis son investiture – notamment pour avoir permis à Elon Musk et à ses jeunes assistants de s’emparer des données des Américains et de l’argent de leurs impôts –, et il serait utile que les démocrates de la Chambre des représentants engagent une procédure de destitution, même si à court terme un tel processus ne pourra jouer qu’un rôle éducatif et symbolique.