Depuis plusieurs semaines, des activistes britanniques d’extrême droite arpentent le littoral du nord de la France avec pour objectif affiché d’empêcher les traversées de migrants. Les vidéos qu’ils partagent en ligne les montrent confronter des migrants et des associations, qui dénoncent des actions racistes et xénophobes et appellent les autorités à agir.
Ils disent venir “pour évaluer l’ampleur réelle de l’invasion” et “stopper les bateaux”. Depuis début novembre, des membres du groupe britannique d’extrême droite “Raise the Colours” (“Hissez les drapeaux”) se sont rendus plusieurs fois sur les plages du nord de la France. Ils publient en ligne des vidéos de leurs incursions, baptisées “Opération Overlord”, en référence au nom de code du débarquement des Alliés en Normandie en 1944.
Sur des images publiées sur leur compte Instagram, aux plus de 100 000 abonnés, on les voit parcourir les plages pour “empêcher les traversées” ou à la recherche de “bateaux à détruire”, ou interpeller des migrants, parfois en se faisant passer pour des journalistes.
“Est-ce que vous avez à payer de l’argent au chef pour avoir les bateaux ?”, demandent-ils, par exemple, à un groupe de migrants, dont certains leur demandent alors d’arrêter de filmer. Ils affirment alors “Écoutez, vous voulez vous intégrer en Angleterre ? Pour immigrer en Angleterre, vous devez être gentils. Si vous n’êtes pas gentils, on ne veut pas de vous en Angleterre”, avant de poursuivre leurs questions : “Où est votre famille ? Où dormez-vous, est-ce que c’est dangereux ?”
En toile de fond de ces vidéos : un narratif xénophobe selon lequel ils défendraient leur pays face au “risque sécuritaire” que ces migrants représenteraient. Selon eux, ils font ce que les “autorités françaises et britanniques ne font pas”. (...)
Le collectif Raise the Colours a aussi confronté des membres d’associations de soutien aux migrants, notamment ceux de Médecins Sans Frontières (MSF). (...)
Dans un communiqué publié début décembre, neuf associations - dont Utopia 56 - ont dénoncé des “pratiques d’intimidation” et condamné la “réponse insuffisante” des gouvernements britannique et français, estimant que celle-ci “contribue à normaliser et à encourager des pratiques violentes et xénophobes qui menacent directement les personnes exilées ainsi que leurs soutiens associatifs”.
Elles regrettaient notamment qu’“aucune des publications [du groupe] visant à recruter, informer et financer leurs actions [n’ait] été supprimée” et qu”‘aucun d’entre eux [n’ait] fait l’objet de mesures de non-admission sur le sol français”.
“Lorsqu’on appelle la police, on sent qu’on prend notre appel sérieusement, mais malheureusement, malgré nos nombreux signalements, on n’a pas l’impression que les choses changent vraiment”, indique Simon (pseudonyme), co-coordinateur d’Utopia 56 Calais. (...)
Début décembre, plusieurs militants de Raise the Colours ont été retenus quelques heures par la police française, avant d’être relâchés. Dans une vidéo du 17 décembre, ils affirment avoir été “surveillés” et détenus par la police alors qu’ils étaient sur la plage la nuit précédente, mais que personne n’a été arrêté.
Une source de l’entourage du ministre de l’Intérieur a fait savoir, le 17 décembre, à la rédaction des Observateurs, que le ministre “a demandé à ce que les membres de ces groupes soient identifiés, interpellés et des mesures d’entrave envisagées.” La préfecture du Nord n’a pas donné suite à nos sollicitations. (...)
“On a l’impression qu’il y a une surenchère”
La présence de groupes d’extrême droite britanniques sur le littoral français n’est pas nouvelle. En juillet 2024, déjà, le militant Alan Legett s’était rendu sur une plage française et avait invectivé plusieurs membres d’Utopia 56.
Il y a quelques mois, en juin 2025, Nick Tenconi, leader du parti britannique europhobe et anti-immigration Ukip, avait aussi pris à partie des membres d’une association, L’auberge des migrants, à Calais. (...)
Plus récemment, en septembre, des membres de Ukip avaient également arpenté les rues de Grand-Fort-Philippe, dans le nord de la France, réveillant brutalement des migrants endormis avec des lampes-torches. (...)
Mais les associations s’alarment du fait que ce type d’actions devient plus fréquent. Simon explique :
“On a l’impression qu’il y a une surenchère. Dernièrement, on a vu un appel aux dons de Raise the Colours où ils demandent des gilets par balles et une liste d’accessoires qui se rapprochent beaucoup plus d’accessoires militaires que d’autres choses. Ça pose des questions sur leur ambition et leur motivation future.”
“C’est plutôt un groupe de communicants”
Si Utopia 56 dénonce les comportements “menaçants et violents” de ces groupes, l’association nuance l’impact réel de ces actions sur les départs de migrants. (...)
“Nouveau protocole”
Quoi qu’il en soit, sur le terrain, les associations ont été contraintes de s’adapter. Simon détaille :
“On a mis en place un nouveau protocole pour que nos équipes puissent être rassurées. On demande à nos bénévoles de ne pas interagir avec eux, de parler français pour compliquer la communication, et on leur propose de mettre des masques chirurgicaux pour protéger leur visage des images qu’ils pourraient diffuser.
Vendredi [le 5 décembre, NDLR], nos équipes ont rencontré des militants, ont suivi le protocole et sont parties. Donc il n’y a pas eu de conflit, mais ils étaient là à filmer et à diffuser ça en direct sur leurs réseaux sociaux.”
Utopia 56 explique aussi être en train de mettre en place une nouvelle mission qui visera à surveiller des groupes comme Raise the Colours et les nouvelles interventions de l’État français, qui s’apprête à expérimenter l‘interception de “small boats” en mer à l’aide de filets.
Simon conclut :
“Je pense que tout ça, c’est le symptôme d’une militarisation de notre frontière franco-britannique. Il y aurait plein de solutions pour éviter ça, notamment en mettant en place des voies sûres de passage et en permettant un accueil digne de ces personnes qui fuient la guerre et des conditions de vie atroces.”
Contacté par notre rédaction, Raise the Colours n’a pas répondu à notre demande d’interview.