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Le jour de l’investiture de Donald Trump, l’application qui attribuait aux migrants des rendez-vous avec l’administration américaine a brusquement cessé de fonctionner. Laissant des milliers de personnes dans le désarroi. Comme à Ciudad Juárez, à une traversée du Texas
(...) « Qu’est-ce qu’on va faire ? » Effondrée, la voix entrecoupée de sanglots, Margely Tinoco interpelle les journalistes présent·es lundi 20 janvier dans la ville de Ciudad Juárez, au nord du Mexique, frontalière avec les États-Unis. Colombienne, accompagnée de son fils et de son mari, elle fait la queue depuis les premières lueurs du jour, dans des températures négatives, à l’entrée du pont Paso del Norte. Il devait la conduire en face, au Texas, dans la ville d’El Paso, pour faire une demande d’asile.
Comme une centaine d’autres personnes, Margely fait partie du second groupe de la journée, qui avait un rendez-vous programmé avec l’immigration américaine en début d’après-midi. Mais à toutes et tous, le passage de l’autre côté est refusé.
« Ce matin encore des gens sont passés, pourquoi à nous, on nous supprime cette occasion ? » Quelques minutes plus tôt, Donald Trump a conclu son premier discours en tant que nouveau président des États-Unis. Comme une conséquence immédiate, tous les rendez-vous attribués pour déposer une demande d’asile sont annulés. Après des minutes de flottement, alors que personne n’osait rompre la file d’attente, une représentante du poste frontalier de l’État mexicain de Chihuahua s’approche pour confirmer la nouvelle : « Plus aucun migrant ne passera, l’accès est fermé. » (...)
Chaque jour, 1 450 rendez-vous étaient attribués, à la loterie, dans huit points répartis le long de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Moyennant des délais d’attente très longs (souvent plusieurs mois) pour décrocher le précieux sésame, CBP One a permis à près de 1 million de personnes d’entrer sur le territoire américain.
Attendre, ou partir (...)
L’état d’urgence déclaré à la frontière avec le Mexique et les premières mesures prises par Donald Trump plongent les migrant·es en transit sur le territoire, ainsi que toute la frontière, dans l’incertitude. Sans plus d’informations du côté mexicain, les autorités tentent de réagir à l’urgence avec les moyens du bord.
Au lendemain de l’investiture, Miriam Gallegos, qui travaille au Conseil d’État pour la population de l’État de Chihuahua, vient recueillir au Paso del Norte un autre groupe de migrant·es. Ils ont tenté de se rendre aux États-Unis malgré leur rendez-vous annulé et viennent de se faire refouler. « Ne cédez pas au désespoir et n’essayez pas d’entrer de manière irrégulière. Je sais que vous avez attendu longtemps, mais il faut encore faire preuve d’un peu plus de patience pour voir quels changements vont arriver. » (...)
Une juriste de l’organisation Las Americas, venue d’El Paso et qui ne souhaite pas donner son nom, parle de la suppression de la plateforme CBP One par l’administration comme d’une mauvaise décision qui va à l’encontre des lois américaines. Elle affirme que « les organisations humanitaires ainsi que les ONG pro-migrants mènent la lutte pour faire annuler cette directive qui affecte de nombreux migrants qui ont suivi la loi pour entrer légalement aux États-Unis ». S’adressant aux personnes présentes dans la salle, elle ajoute : « Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain, nous voulons collecter des preuves et des témoignages. »
« Quelles preuves ? », l’interrompt German Briseño, un ancien militaire vénézuélien désabusé, assis au premier rang. « Quelle meilleure preuve que celle de traverser dix pays pour arriver ici et d’attendre presque un an pour un rendez-vous ? Dites-moi quelles preuves supplémentaires sont nécessaires ? » Au fond de la salle, Jeny Blanco, également originaire du Venezuela, renchérit : « Que peut faire le Mexique pour nous ? » La mère de famille sort de son manteau une chemise avec à l’intérieur quelques feuilles imprimées. « Les États-Unis ne veulent pas de nous mais on est bloqués ici. Nous ne pouvons pas nous déplacer au Mexique, nous ne pouvons pas retourner dans notre pays. Nous n’avons pas de papiers, nous sommes dans un trou, une impasse. Nous ne savons pas quoi faire. » (...)
Les premières expulsions de la seconde ère de Donald Trump ont déjà commencé : un groupe de 56 Mexicain·es a été reconduit à Ciudad Juárez dans la soirée du mardi 22 janvier, selon l’Institut mexicain de la migration, ainsi que d’autres groupes dans différentes villes du Nord. Alors que plus de 11 millions de personnes sont menacées par les expulsions massives promises par Donald Trump, la frontière mexicaine et ses refuges se préparent à un énième épisode d’une crise migratoire sans fin.