
L’art et la culture ne s’opposent pas intrinsèquement au fascisme. Cependant, certaines œuvres, par leur forme, ont une plus grande puissance réfractaire à la soumission. La bataille pour qu’elles n’atteignent pas seulement les initiés est plus que jamais nécessaire.
Un tel rappel en ouverture d’un article sur la capacité de la culture à résister à la montée du fascisme veut alerter sur le fait que celle-ci n’a rien d’évident. Il serait illusoire et d’une naïveté sans nom de penser que l’art est intrinsèquement « anti-fasciste ». Il faudrait alors rayer de son histoire un certain nombre d’écrivains et d’artistes ayant servi les pires régimes. (...)
Considérer ces artistes terriblement compromis comme dénués de talent participerait de la même erreur. La cinéaste officielle du Troisième Reich, Leni Riefensthal, possédait une incontestable science du cadre et de la lumière, qui coïncidait avec la conception nationale-socialiste de la beauté et de l’apparat.
Mais voyons de plus près. En France, à la fin des années 1980, le groupe Bérurier noir clôt en concert sa chanson « Porcherie » par un épilogue qui claque comme un camouflet punk : « La jeunesse emmerde le Front national ! » Le slogan devient vite un cri de ralliement dans les manifestations antifascistes alors que les scores du père Le Pen et de ses sbires ne cessent de progresser dans les urnes. En effet, la montée du FN devenu RN ne s’en est pas vue freinée – y compris dans la jeunesse. (...)
Résistance
L’art et la culture ne sont donc pas forcément non agissants. Gilles Deleuze en était persuadé, qui affirme dans Deux Régimes de fous : « Il y a une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance. » Dans les périodes d’intense répression des libertés, la poésie ou la chanson ont beaucoup circulé dans la clandestinité. Que ce soit le samizdat en URSS et dans les pays du bloc soviétique, les livres des Éditions de Minuit naissantes sous l’Occupation ou les chansons de Victor Jara au Chili pendant la dictature, assassiné par Pinochet au lendemain de son coup d’État. (...)
Qu’en est-il des œuvres elles-mêmes ? Elles n’ont pas toutes le même indice d’insoumission à l’état des choses, a fortiori aux vents mauvais. Les formes qu’elles prennent sont indissociables de leur potentiel politique et de leur puissance réfractaire.
Dans le champ du cinéma, de l’audiovisuel et des réseaux sociaux, la philosophe Marie-José Mondzain en a fait l’analyse précise, notamment dans son essai intitulé Confiscation (Les liens qui libèrent, 2017) (...)
Accès aux œuvres
Même si l’expression littéraire est d’une autre nature, sa portée politique n’échappe pas davantage à la question formelle. Au danger de la manipulation du langage (médiatico-politique), à l’insignifiance du roman ultra-majoritaire, plat comme un scénario avec son bon vieux sujet de société (fût-il réputé de gauche…), s’oppose une littérature, hélas minoritaire, qui trouble les fausses évidences de la langue et se joue des représentations communes.
« La fréquentation des avant-gardes historiques, quoi qu’on en dise, reste une formidable source d’émancipation artistique », nous dit Nathalie Quintane, dont l’œuvre s’inscrit dans cette lignée radicalement critique, coautrice récemment d’un livre au titre provocateur, Contre la littérature politique (La Fabrique, 2024). (...)
Créer du commun (...)
Laetitia Lafforgue plaide pour une « articulation des forces » afin de faire reculer les idées d’extrême droite, au-delà du seul milieu culturel. Le chantier est ouvert.