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Mediapart
« Contourner tout ce qu’on peut » : face à la réforme du RSA, la riposte s’organise
#RSA #resistances
Article mis en ligne le 6 avril 2025
dernière modification le 2 avril 2025

Agents de France Travail, associatifs, syndicats et acteurs sociaux dénoncent le flou persistant de la réforme du RSA, conditionné depuis janvier à des heures d’activité, et demandent au gouvernement de renoncer aux sanctions. Sur le terrain, la résistance s’organise.

La seule chose qui est claire, quatre mois après l’entrée en vigueur de la réforme du RSA, c’est que des sanctions vont bientôt tomber. Et qu’elles seront sévères. Pour le reste, c’est le brouillard total, tant pour les agent·es de France Travail chargé·es de faire appliquer la loi que pour les bénéficiaires du minimum social qui pressentent le pire, sans doute à raison.

Un document révélé par Le Monde et que Mediapart a pu consulter dévoile en effet un projet de barème de sanctions « suspension-remobilisation » en cas de non-respect du contrat d’engagement signé par les allocataires. Il prévoit, en cas de premier « manquement » aux obligations, une suspension pour un ou deux mois de 30 à 100 % du montant de l’allocation perçue, avec un plafond à 50 % « pour les foyers composés de plus d’une personne ». Si l’allocataire se « remobilise » durant la période, il récupère la somme de manière rétroactive. À l’inverse, la sanction sera plus dure « en cas de persistance ou réitération » des manquements.

Présenté aux conseils départementaux chargés du versement du RSA, ce projet sera transformé en décret puis publié dans les prochaines semaines, pour une application dès le mois de juin. C’est le prolongement de la loi dite « plein emploi », entrée en vigueur le 1er janvier 2025, qui rend « obligatoire et automatique » l’inscription à France Travail des bénéficiaires du RSA, assortie de la signature d’un contrat, comprenant des heures d’activité obligatoires (...)

conférence de presse organisée par ATD Quart monde, mercredi 26 mars. Le mouvement de lutte contre la pauvreté a lancé une pétition, signée, entre autres, par Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, par Marylise Léon, son homologue de la CFDT, ainsi que par des associations de lutte pour la solidarité. Le texte appelle à la non-publication du décret prévoyant des sanctions accrues. La CFDT a depuis enfoncé le clou avec un communiqué de presse exhortant le gouvernement à ne pas appliquer de « retenues financières visant les plus fragiles ».

Flou artistique

Lors de leur prise de parole, la présidente d’ATD Quart monde, Marie-Aleth Grard, et la vice-présidente du mouvement, Isabelle Doresse, se sont élevées contre cette logique punitive du gouvernement. Elles ont aussi dénoncé le tri opéré entre les « bons et [les] mauvais pauvres qui doivent prouver qu’ils méritent leur RSA en acceptant de signer un contrat d’engagement, en acceptant les conditions qu’on leur demande ». (...)

Le calme avant la tempête

Pressé de lancer sa réforme du RSA, le gouvernement a légiféré à la va-vite, sans même attendre d’avoir le minimum de recul sur les expérimentations lancées en 2023 puis étendues à 47 départements l’année suivante. Un maigre bilan, publié en novembre 2024 et réalisé sur huit départements pilotes, montrait bien que l’absence de cadre ouvrait la porte à absolument tout et n’importe quoi en matière d’activités obligatoires, et pointait clairement « les risques importants d’erreur et d’inégalité de traitement ».

Plus récemment, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), instance rattachée au premier ministre, a publié un avis de 25 pages alertant sur les conséquences des sanctions, « en termes de ruptures de droits et de radiations infondées au regard de la situation des personnes ». Le président du CNLE, Nicolas Duvoux, défend lui aussi « un moratoire sur les sanctions » et plaide pour l’instauration « d’un plancher qui sécurise les allocataires et désactive tout système de sanctions », y compris l’actuel, « dont on a constaté les dégâts ».

Sur le terrain, des actrices et acteurs sociaux entendent bien faire barrage, à leur manière. (...)

Emma et ses collègues se refusent par ailleurs à signaler à la métropole de Lyon, chargée des bénéficiaires du RSA, les personnes qui n’assistent pas à des « temps collectifs » rendus obligatoires par la collectivité à l’automne 2024. « Personne ne nous embête avec ça pour le moment », ajoute la conseillère, qui pressent qu’il s’agit du « calme avant la tempête ».

Kelly*, directrice d’une association pour l’insertion socioprofessionnelle, confirme que les structures « bienveillantes » ne signaleront pas à tous coups les allocataires. « On reste sur notre ligne de conduite. C’est-à-dire suivre le projet de la personne. On essaye de résister en contournant tout ce qu’on peut contourner pour ne pas déshumaniser notre accompagnement. On ne veut pas devenir des gestionnaires », affirme-t-elle.

Résister, c’est aussi un moyen de ne pas voir la réforme abîmer le travail social et la confiance patiemment tissée avec les bénéficiaires des minima sociaux. (...)

Olivier Treneul dit s’attendre à un carnage social avec la réforme généralisée et un RSA désormais « basé sur la coercition ». (...)

« Punir, c’est infantilisant !, lance pour sa part Marie Lacoste, secrétaire nationale du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP). Pourtant, quand tout est fait sans menaces et dans de bonnes conditions, les gens sont contents », poursuit celle qui est par ailleurs directrice d’une maison des chômeurs à Toulouse.

Les quinze heures d’activité, elle les considère comme « une norme pour les gens plutôt en bon état et capables de chercher du boulot », affirmant qu’il faudra, pour les autres, « faire dans la dentelle ». Mais pour cela, « il faut des gens, des accompagnateurs ».

Or, à France Travail, le temps et les moyens manquent. Si l’afflux d’inscriptions lié à la réforme et redouté par les agent·es n’a pour l’heure pas eu lieu, leur charge de travail est alourdie par des erreurs en cascade, assure Francine Royon, de la CGT France Travail. (...)

Elle détaille : « À partir du mois de juin, l’orientation des privés d’emploi se fera par le biais d’un questionnaire entièrement dématérialisé, que l’usager devra remplir. En attendant, ce questionnaire est testé par téléphone, en tout cas en Île-de-France. Et il y a plein d’erreurs d’orientation. Il arrive qu’un demandeur d’emploi fasse quatre entretiens différents pour tomber sur la bonne personne ! »

Pascale, qui a témoigné devant la presse au rendez-vous d’ATD Quart monde, le constate. Elle décrit des changements incessants de conseillers, des convocations à des réunions à l’intérêt limité et coûteuses en termes de déplacement, ou des formations mises en place par le département pas toujours pertinentes. Le tout, aux dépens des autres missions de France Travail, déplore Francine Royon : « L’activité traditionnelle, la gestion des dossiers et les rendez-vous demandés par les usagers passent en second plan. C’est comme ça, ce n’est pas la priorité… »

Cinq organisations syndicales de France Travail appellent d’ailleurs à la grève, le 1er avril, pour demander plus de moyens et de meilleures rémunérations. Elles dénoncent « les conditions de mise en œuvre de la loi [qui] viennent dégrader les conditions d’accueil et d’accompagnement des usagères et des usagers tout comme les conditions de travail des personnels ».
Le risque du non-recours (...)

Cette réforme, qu’ATD qualifie de « maltraitance institutionnelle », est censée « remobiliser » les bénéficiaires du RSA mais son impact en termes de retour à l’emploi est fortement mis en doute. Pour Lydie Nicol, secrétaire nationale de la CFDT chargée des politiques d’insertion et de lutte contre la pauvreté, le dispositif va surtout augmenter « à bas bruit » la pauvreté, avec « fatalement, un effet boule de neige » en termes de santé, de hausse des impayés de loyer et d’expulsions.

Enfin, le flou demeure quant aux recours possibles face aux sanctions. (...)