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Mediapart
« Comment réagir face au véritable antisémitisme lorsque toute critique de l’action d’Israël y est assimilée ? »
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #antisemitisme
Article mis en ligne le 15 mai 2024
dernière modification le 13 mai 2024

Le 7 avril dernier, le plus ancien prisonnier palestinien, l’écrivain Walid Daqqa, est mort à 62 ans après trente-huit ans de détention pour avoir appartenu à une cellule armée du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), responsable de l’enlèvement et du meurtre du soldat israélien Moshe Tamam en 1984.

Walid Daqqa souffrait de plusieurs maladies, dont un cancer de la moelle osseuse diagnostiqué en décembre 2022.

(...) Anat Matar, à l’origine du Comité israélien des prisonniers palestiniens, a subi un harcèlement en règle pour avoir rendu, sur sa page Facebook personnelle, un hommage à son « cher ami », qui aurait dû mourir près des siens : Walid Daqqa avait purgé sa peine (la perpétuité ramenée à trente-sept ans en 2012) et devait être libéré en 2023, mais la justice israélienne l’a condamné en 2018 à deux ans supplémentaires pour avoir tenté d’introduire des téléphones portables en prison. (...)

Voici les mots qui lui ont valu ce harcèlement : « Au revoir, cher et bien-aimé ami. Tu as été et seras une source d’inspiration inépuisable. Mon cœur va à toi, Sanaa et Milad. Avec Asad et toute la famille, avec tout le peuple palestinien qui a perdu aujourd’hui l’un de ses plus grands fils. »

Dans un entretien à Mediapart, l’universitaire engagée à gauche, dont nous publions également les derniers échanges de lettres avec Walid Daqqa, s’inquiète des menaces qui pèsent depuis le 7 octobre sur les libertés académiques. Elle dénonce le climat de censure et de délation qui règne dans les universités, en Israël et au-delà, notamment en France et aux États-Unis, ainsi que le sort « inhumain » réservé aux prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes. (...)

Anat Matar : Je suis habituée à subir les foudres de la droite et de l’extrême droite pour mes engagements mais cette fois, c’est monté d’un cran. J’ai reçu des centaines de messages et d’appels téléphoniques malveillants avec des phrases du type : « Tu célèbres un terroriste, va en enfer », « Je te souhaite d’être violée par le Hamas ».

La présidence de l’université m’a reproché mes propos, tout en reconnaissant qu’il n’y avait rien d’illégal ni matière à engager une procédure disciplinaire et à me renvoyer. Mais dans le même temps, elle m’a dénoncée durement dans la presse et auprès de la communauté universitaire, ce que j’ai trouvé ignoble. C’est la première fois qu’elle agit de la sorte, tout en se vantant d’être libérale en n’engageant aucune procédure contre moi.

Heureusement, j’ai été soutenue, moins par les professeurs, mais par les étudiants, qui ont lancé une pétition en ma faveur et l’ont envoyée à l’administration de l’université avec environ 250 signatures. Ils sont nombreux à m’avoir écrit personnellement : « Nous sommes à vos côtés. Ce que vous vivez n’est pas juste. » (...)

Ce qui m’est arrivé est sans commune mesure avec ce qui est arrivé à d’autres collègues. Des professeurs qui ont manifesté une certaine sympathie pour la lutte palestinienne ont été immédiatement licenciés (...)

C’est très grave, c’est une atteinte aux libertés académiques, à la liberté d’expression. Bien sûr qu’il y a un aspect antisémite dans certaines de ces manifestations, mais le généraliser est dangereux. Voir dans chaque manifestation l’expression d’un antisémitisme nuit à la lutte même contre l’antisémitisme et participe à le banaliser. Comment réagir face au véritable antisémitisme lorsque toute critique de l’action d’Israël y est assimilée ? De nombreux juifs manifestent aussi sur tous ces campus. (...)

Je suis de toute façon une partisane du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions). Je soutiens en ce moment tout particulièrement l’appel des étudiants pour que leurs universités se désengagent de toute implication militaire, etc. Il faut aider à promouvoir le désinvestissement universitaire et à atteindre les étudiants et les professeurs actuellement engagés dans des négociations

Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle en Israël ?

J’ai lu qu’il faudrait environ quatorze ans pour nettoyer, une fois la guerre terminée, tout ce qui a été bombardé, détruit à Gaza. Où en sera Israël alors ? L’ambiance générale, aujourd’hui, c’est que nous devons attaquer Rafah, continuer la guerre. Nétanyahou a intérêt à ce que la guerre continue indéfiniment. Parce que tant que ça continue, il reste le chef. (...)

Je ne minimise ni ne nie aucune des atrocités commises par le Hamas et les autres groupes armés palestiniens le 7 octobre 2023. Ce sont des massacres abominables : des enfants, des familles entières ont été assassinées, des femmes ont été violées… Mais nous ne sommes plus le 7 octobre. Nous sommes en mai. Près de sept mois ont passé. Et quelque chose s’est produit pendant ce temps : le massacre de milliers de civils palestiniens à Gaza. (...)

La condition des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes m’a toujours préoccupée. Elle est au cœur de mon engagement militant. (...)

Nous avons récemment organisé une manifestation près du camp de torture de Sde Teiman, dans le désert du Néguev, où Israël détient les prisonniers de Gaza. On sait qu’ils subissent des tortures inimaginables. Plusieurs cas ont été documentés. Ils ont les yeux bandés la plupart du temps, reçoivent d’infimes portions de nourriture, sont enfermés dans des conditions inhumaines.

Des dizaines d’entre eux ont été libérés, ce qui signifie qu’ils étaient innocents. Mais certains sont libérés estropiés de certains membres, amputés à cause des menottes qui les entaillent de telle manière que des gangrènes se forment. Même l’armée israélienne ne le nie pas.