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Mediapart
Comment la guerre à Gaza a mis la mer Rouge en ébullition
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #resistance #Houtis
Article mis en ligne le 9 janvier 2024
dernière modification le 8 janvier 2024

Depuis bientôt deux mois, les rebelles houthis basés au Yémen attaquent des navires militaires et commerciaux au nom de la solidarité avec les Palestiniens. Explications sur cette déflagration lointaine du conflit à Gaza qui pourrait avoir des effets majeurs sur le commerce mondial.

(...) Le Galaxy Leader, cargo de 190 mètres appartenant à un armateur israélien, vient d’être pris en otage, et ses nouveaux maîtres sont clairs sur leurs objectifs : « Soutenir le peuple palestinien et sa vaillante résistance », ainsi qu’ils l’affirmeront dans la vidéo de propagande une fois mise en ligne. (...)

Les hommes encagoulés qui ont monté cette opération spectaculaire ne sont pourtant pas des membres du Hamas ni du Jihad islamique palestinien. Ils ne sont pas non plus des combattants de groupes alliés de ces derniers, comme le Hezbollah libanais. Ceux qui lèvent ce jour-là un drapeau palestinien sur le Galaxy Leader sont des militants du mouvement Ansar Allah, plus couramment appelés les houthis.

Ces combattants originaires du Yémen et issus d’une minorité chiite, le zaïdisme, étaient surtout connus, jusqu’à présent, pour leur engagement dans une guerre contre le pouvoir central aux conséquences humanitaires catastrophiques. Leur rébellion, basée dans les hautes montagnes du nord-est du Yémen, tient en échec militaire les forces gouvernementales depuis près de dix ans. (...)

Les houthis semblaient engagés sérieusement dans des négociations de paix. Mais les revoilà donc, le 19 novembre, sur le pont d’un navire détourné en mer Rouge, promettant de prendre pour cible tout navire « appartenant à l’ennemi israélien ou traitant avec lui » qui passerait au large des côtes yéménites.
Missiles balistiques antinavires

Les menaces ont été mises à exécution. (...)

En réaction, les États-Unis ont annoncé le 18 décembre la mise en place d’une « force multinationale de protection maritime », dénommée « Gardiens de la prospérité ». Elle devrait consister pour l’essentiel en des patrouilles conjointes en mer Rouge et dans le golfe d’Aden.

Mais l’initiative n’a pas eu pour effet de faire baisser la pression. Au contraire : le 31 décembre, de sérieux accrochages ont eu lieu entre l’armée américaine et des combattants houthis. Ce jour-là, le commandement militaire américain pour le Moyen-Orient a annoncé avoir coulé trois navires des rebelles. (...)

Les houthis du Yémen ont réussi au fil des années à se doter d’un arsenal militaire qui n’a rien à envier à celui de nombreux États. (...)

Conséquences en cascade sur le commerce mondial

Deux jours après l’attaque de son porte-conteneur, le transporteur Maersk annoncait qu’il suspendait son trafic en mer Rouge jusqu’à nouvel ordre. D’autres grandes entreprises du secteur, dont Evergreen Line (basée à Taïwan), l’italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC) et le français CMA CGM ont également cessé d’emprunter ce passage (...)

« Les forces armées yéménites [...] continueront à empêcher les navires israéliens ou ceux qui se dirigent vers les ports de la Palestine occupée de naviguer en mer Rouge et en mer d’Arabie jusqu’à ce qu’ils apportent la nourriture et les médicaments dont nos frères de la bande de Gaza ont besoin », a déclaré leur porte-parole Yahya Sarea (dans une déclaration traduite par la chaîne Al Jazeera).

Le détroit de Bab El-Mandab, autour duquel les rebelles mènent la plupart de leurs attaques, est un passage clé de la voie maritime la plus directe entre l’Asie et l’Europe (voir carte ci-dessous). 15 % du commerce mondial transiterait par cette route (...)

Une partie de ces transporteurs ont pour l’heure choisi d’emprunter une route alternative, qui consiste à contourner l’ensemble du continent africain en passant par le cap de Bonne-Espérance. Mais cela représente de dix jours à deux semaines de navigation de plus et coûterait plus d’un million d’euros supplémentaires par voyage, selon des experts du secteur.

Dans un communiqué conjoint publié le mercredi 3 janvier, douze États (dont les États-Unis, le Canada et le Japon) demandent aux houthis de cesser leurs attaques en mer Rouge, qualifiées d’« illégales, inacceptables et profondément déstabilisatrices ». Les États-Unis menacent par ailleurs de remettre le groupe sur la liste des organisations considérées comme terroristes, dont il avait été retiré en 2021 pour ne pas entraver l’envoi d’aide humanitaire au Yémen. (...)

L’internationale des ennemis d’Israël

Plusieurs analystes voient la main de Téhéran derrière les opérations du groupe yéménite en mer Rouge. (...)

les autorités iraniennes, également ennemies déclarées d’Israël, ne cherchent guère à cacher qu’elles sont favorables à toutes les initiatives permettant de disperser les forces armées de l’État hébreu et de les détourner de Gaza. Elles disposent de plusieurs alliés capables de les aider dans cette tâche en ouvrant des fronts secondaires ou en menant des coups d’éclat : le Hezbollah libanais, des milices chiites irakiennes et afghanes présentes en Syrie et, donc, les houthis au Yémen.

Ces groupes coordonneraient leurs opérations via une « chambre des opérations conjointes » basée à Beyrouth. Cette stratégie d’« unité des fronts » aurait été mise au point lors de plusieurs réunions et rencontres entre dirigeants du Hamas, du Jihad islamique et du Hezbollah au cours de l’année 2023 (...)

Depuis sa création dans les années 1990, dans un contexte de luttes internes pour le pouvoir et de volonté de défense de l’identité zaïdite, le mouvement a affiché un agenda international clair, résumé par son slogan : « Dieu est le plus grand, mort à l’Amérique, mort à Israël, maudits soient les juifs, victoire à l’islam ». La défense de la cause palestinienne a par ailleurs toujours fait partie de son programme – avec des manifestations monstres régulièrement organisées dans les villes qu’il administre, dont la capitale, Sanaa.

L’indignation mondiale suscitée par la guerre menée par Israël à Gaza, combinée à la possibilité matérielle pour eux de frapper des symboles israéliens en mer Rouge étant donné leur arsenal et leur situation géographique, a donné l’occasion aux combattants houthis de mettre en actes ce programme de manière spectaculaire. (...)