Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Climat : les trajets délirants des jets des millionnaires
#jetsprives #empreintecarbone #urgenceclimatique
Article mis en ligne le 21 juillet 2024
dernière modification le 17 juillet 2024

Les avions d’affaires d’Axa, Total et Artémis, la holding de la famille Pinault, ont chacun consommé en un an l’équivalent de quatre siècles d’empreinte carbone d’un Français moyen, selon une enquête de Mediapart et de Mémoire vive. Au total, 50 jets privés français ont fait 270 fois le tour de la Terre entre 2023 et 2024.

Onze mille vols. 80 000 tonnes d’équivalent CO2 relâchées dans l’atmosphère. Près de 11 millions de kilomètres parcourus, soit 272 fois le tour de la Terre. Ces chiffres, impressionnants, ont été réalisés par seulement cinquante jets privés français en l’espace d’une année, entre mai 2023 et avril 2024.

Pendant plusieurs semaines, Mediapart et le collectif Mémoire vive ont enquêté sur l’activité et la consommation de jets privés français. Enregistrés en France ou par des usagers français à l’étranger, ces avions ont le point commun d’appartenir ou d’être loués par des hommes d’affaires richissimes et des grandes entreprises. Des jets exploités pour les affaires, mais aussi dans le cadre privé, pour les loisirs et les vacances. Dans l’impunité la plus totale.

Et pourtant, ramenés à l’empreinte carbone d’un passager, les trajets en jets privés restent hyperpolluants. Jusqu’à 14 fois la consommation d’un avion de ligne classique et 50 fois celle d’un train, selon la fédération d’ONG Transport & Environment. (...)

En 2022, d’après un rapport commandé par Greenpeace, la France était la championne de l’Union européenne des jets privés, en nombre de vols et en émissions de CO2 générées. Les deux plus gros aéroports d’affaires d’Europe sont aussi français : Nice-Côte d’Azur et Paris-Le Bourget. Malgré quelques turbulences et une baisse du trafic en 2023, l’aviation d’affaires se porte bien et a même enregistré une année record en 2022 en France et en Europe.
Les dix plus gros pollueurs (...)

lorsque l’avion de la famille Pinault effectue un vol Tokyo-Paris le 16 juin 2023, il brûle dans l’atmosphère 142 tonnes de CO2e, soit seize ans d’empreinte carbone d’un Français moyen sur un seul trajet. (...)

L’analyse de nos données montre que les jets sont possédés ou loués parfois à titre exclusif, qu’ils peuvent être détenus en copropriété, acquis en leasing ou loués à des tiers, notamment via des compagnies d’aviation d’affaires. Quant aux usagers, ils sont dans leur grande majorité des hommes. Une étude détaillée des trajets montre également que certains vols sont effectués sur de très courtes distances : Nice-Cannes ou Valenciennes-Lille par exemple, à moins de 50 kilomètres à vol d’oiseau.

Contrairement aux discours des lobbys de la filière, les jets ne sont pas utilisés que pour les affaires. (...)

Les sociétés ou individus composant notre classement travaillent dans des secteurs variés, y compris l’environnement. Tous possèdent des politiques de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ambitieuses, prétendant réaliser des efforts quotidiens dans la réduction des émissions de carbone.

L’entreprise de recyclage Paprec – qui n’a pas répondu aux questions de Mediapart – place la lutte contre le réchauffement climatique comme l’un de ses huit piliers, et rappelle que ses activités « contribuent de manière intrinsèque à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ». Pourtant, la famille Petithuguenin, à la tête de Paprec, possède un Hawker 900XP de chez Beechcraft, mis en location à la compagnie Valljet. Entre mai 2023 et avril 2024, ce jet a relâché 1 648 tonnes de CO2e dans l’atmosphère. (...)

D’autres sociétés, comme Total et Michelin, disent utiliser du « SAF ». Ces carburants « durables », encore marginaux, permettent de réduire l’empreinte carbone des avions. Mais la diminution ne sera réellement effective que si elle s’opère en parallèle d’une réduction du trafic aérien, disent les experts. De fait, Total reste deuxième dans notre classement des avions les plus pollueurs, tout en prenant en compte la baisse des émissions dues au SAF.

Michelin, de son côté, possède sa propre compagnie aérienne, Michelin Air Services, (MAS), avec trois avions, des Falcon 2000 EX, basés à l’aéroport de Clermont-Ferrand. (...)

Des jets dissimulés dans des sociétés indépendantes (...)

Suivis à la trace par des internautes ou par la presse, la famille Pinault et Patrick Drahi, le président d’Altice, ont ainsi immatriculé leurs rutilants Bombardier Global 7500 (d’une valeur de plus de 60 millions d’euros) en Autriche, pays qui permet l’anonymat des propriétaires d’avions. Patrick Drahi, qui promène son jet jusqu’à Saint-Kitts-et-Nevis dans les Caraïbes, comme Reflets et Streetpress l’ont raconté, n’a pas non plus répondu à notre sollicitation. (...)

Certains entrepreneurs, inquiets des répercussions pour leurs affaires ou subitement sensibilisés aux enjeux écologiques, ont quant à eux décidé de céder leurs avions ces derniers mois. Alain Weill, fondateur de NextRadioTV (RMC, BFMTV), avoue avoir vendu son jet, utilisé « principalement par des clients extérieurs à [son] groupe », en décembre 2023. « Je suis très concerné par les sujets autour du climat, je ne roule qu’en voiture électrique », nous écrit le patron actuel de L’Express.

L’avion a finalement été radié du registre français de l’aviation civile au lendemain de l’envoi de nos questions. (...)

Ces démarches restent toutefois marginales. La quasi-totalité des jets de notre liste continuent de voler. Une impunité des plus riches qui choque, alors que les citoyens sont encouragés à multiplier les petits gestes au quotidien pour diminuer leur empreinte carbone. Ces dernières années, des actions militantes se sont multipliées sur les tarmacs des aéroports d’affaires, comme en septembre 2023 à l’aéroport du Bourget. Sur les réseaux sociaux, des comptes citoyens, comme « L’avion de Bernard » (lire boîte noire), pistent les jets des milliardaires.

Au-delà des avions privés utilisés par les classes les plus fortunées, les trajets aériens sont aussi le symptôme d’importantes inégalités sociales et environnementales. Un chiffre résume tout : 1 % de la population mondiale est responsable de 50 % des émissions de l’aviation. Les plus riches volent, et polluent. Les plus pauvres restent au sol, et suffoquent.